Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Europe de l'Ouest : rigueur et repli

1993 restera comme une année noire pour l'ensemble des pays de l'Europe de l'Ouest. Sur le plan économique, Michel Camdessus, directeur général du FMI, évoque le « grand malade du monde », touché tardivement, mais d'autant plus durement, par la crise. Dans un tel climat de marasme, les réactions de défense ne manquent pas de s'exacerber : partout, des législations restrictives à l'immigration sont adoptées, tandis que sont remis en cause nombre d'acquis sociaux.

« L'Europe est actuellement un des grands malades du monde. La crise l'a frappée plus tardivement que le reste du monde industriel, mais non moins sévèrement. On peut même penser que le stimulus temporaire apporté par la réunification allemande en son début a quelque peu voilé les développements récessionnistes qui commençaient à s'installer, du fait en particulier de la déflation mondiale des actifs financiers. » (Michel Camdessus, directeur général du FMI, dans le Figaro du 16/09/93.)

Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne se place cette année en Europe dans une position paradoxale. Pendant plusieurs mois, les responsables se sont félicités de la sortie de la livre du SME en septembre 1992 et de sa dévaluation de fait. Les produits britanniques se sont mieux vendus à l'exportation ; à l'intérieur, la Banque d'Angleterre, affranchie de l'obligation de défendre sa monnaie face au Mark, a pu baisser ses taux et relancer ainsi investissement et consommation. La croissance britannique devrait approcher les 2 % sur l'année, et le chômage a reculé, repassant au-dessous de la barre fatidique des trois millions. On a parlé alors de modèle anglais, source d'inspiration pour les partisans outre-Manche d'une « autre politique ». Las ! L'artisan de ce « miracle », le chancelier de l'Échiquier Norman Lamont, à qui l'on ne pardonnait pas, malgré ces chiffres encourageants, la reculade de septembre 1992, était remercié par John Major en mai ; et, dès le retour de l'automne, on recommençait à s'inquiéter de la relance de l'inflation (qui reste cependant très modérée) et du chômage.

Ces résultats en demi-teinte n'ont pas arrangé la situation de M. Major, qui connaît le triste privilège d'être le Premier ministre le plus impopulaire depuis la fin de la guerre. Le chef du gouvernement est, pour une large part, rejeté par son propre parti, du moins par sa faction la plus droitière, la plus antieuropéenne, la plus thatcherienne. On lui reproche son indécision, son manque de charisme, et même, pour certains caciques comme lord William Rees-Mogg, ses origines plébéiennes et son allure décidément trop « middle class ». M. Major s'est épuisé à imposer à ses propres troupes la ratification du traité de Maastricht, pourtant largement amputé par rapport au texte initial et notamment de son volet social, perçu comme diabolique par les ultralibéraux insulaires. Pour vaincre les « eurosceptiques », le Premier ministre aura été jusqu'à les menacer de dissoudre les Communes ; il aura eu finalement gain de cause le 23 juillet, mais en ayant usé de tout le maigre crédit qui lui restait.

Marqué par le crime « œdipien » contre Mme Thatcher, qu'il remplaça au pouvoir en 1990, M. Major n'en finit pas d'expier. Mais il est toujours là, ne serait-ce que grâce à l'absence de réel concurrent au sein du Parti conservateur (même si le nom du nouveau chancelier de l'Échiquier, Kenneth Clarke, est de plus en plus prononcé), et, en face, dans le Parti travailliste. Pourtant, le leader de ce dernier, John Smith, semble commencer à être en mesure de trancher sur les deux questions centrales pour l'avenir de son organisation : un engagement net en faveur de l'Europe et une distance accrue entre le parti et les syndicats (comme il a réussi à l'obtenir au congrès de Brighton en septembre). Certains pensent cependant qu'une alliance entre les travaillistes et les libéraux du dynamique Paddy Ashdown constituerait la vraie solution politique aux problèmes d'un pays en pleine interrogation. En face, M. Major recentre son discours sur les vertus très conservatrices de la « loi et l'ordre », tout en amorçant une politique d'ouverture en Irlande du Nord. À la fin du mois de novembre, on apprend officiellement que des contacts ont eu lieu entre l'IRA et le gouvernement britannique.

Presse et vie privée

Après les révélations selon lesquelles le prince Charles et lady Diana auraient recruté des journalistes concurrents pour leur présenter chacun sa propre version de leurs démêlés conjugaux, sir David Calcutt présente un rapport concluant à la nécessité d'une nouvelle législation protégeant la vie privée contre les excès de la presse.

Sinistrose

Selon un sondage publié en février, 33 % des Britanniques estiment n'avoir aucune raison d'être fiers de leur pays et 49 % d'entre eux seraient prêts à émigrer. Pour le sociologue Robert Worcester : « Il s'agit d'une foi déclinante dans la monarchie, dans le Parlement, dans le gouvernement, dans le système judiciaire et dans le système de pouvoir dans son ensemble. »

Croissance or not croissance ?

Entre août 1992 (juste avant la dévaluation de 13 % de la livre) et septembre 1993, les taux d'intérêt à court terme sont passés de 11 % à 6 % ; au premier trimestre 1993, la production industrielle anglaise a progressé de 1,6 %. Toutefois, en 12 mois, les exportations n'ont progressé que de 3,5 % contre 4,5 % pour les importations, tandis que l'inflation atteignait 1,4 % en juillet et 1,7 % en août. L'économiste Christian de Boissieu faisait observer que « si l'Angleterre s'en sort, ce sera parce que d'autres pays comme la France n'ont pas joué la carte de la dévaluation compétitive. Si, à la suite de l'explosion du SME, tous les Européens jouaient cette carte, le jeu serait à somme négative pour tout le monde. »

Au congrès travailliste de Brighton, le 29 septembre, John Smith, le leader du parti, obtient (par 47,5 % des voix contre 44,3 %) la limitation de l'influence des syndicats au sein du Labour. En application de la règle « un homme, une voix », ceux-ci ne disposeront plus à l'avenir de 70 % des suffrages lors de la désignation des candidats travaillistes aux élections législatives, mais d'un pourcentage correspondant au nombre de syndicalistes effectivement membres du parti.

Irlande

Après les élections du 25 novembre 1992, le pays a connu une innovation politique sans précédent : pour la première fois depuis la fondation de la République, le Parti travailliste a accepté, en janvier, de former avec le Fianna Fail (nationaliste conservateur) un gouvernement de coalition dont le Premier ministre sortant, Albert Reynolds (Fianna Fail), prend la direction. Le leader travailliste, Dick Spring, occupe le poste de ministre des Affaires étrangères. Après des semaines de tractations, la nouvelle équipe au pouvoir s'est engagée à traiter plusieurs dossiers explosifs, comme la décriminalisation de l'homosexualité, le référendum sur le divorce, le réexamen de la question de l'avortement et la lutte renforcée contre le chômage. En décembre, M. Reynolds prend une initiative majeure, en s'associant à John Major sur un plan de paix en Ulster : réunification des deux parties de l'Irlande après la tenue de deux référendums distincts au Nord et au Sud.

Espagne

Si le pays est rudement entré en récession, le « miracle » González a continué d'opérer. L'année avait pourtant commencé sous de mauvais augures pour le chef du gouvernement socialiste. Les échéances électorales de l'automne s'annonçaient comme quasiment perdues d'avance. L'opposition de droite, menée par le jeune – 39 ans – leader du Parti populaire, José Maria Aznar, semblait avoir le vent en poupe. Il est vrai que celui-ci ne manquait pas d'arguments, qui peuvent se résumer en deux idées-forces : la crise économique et l'usure des socialistes au pouvoir.