Immigration : durcissement
L'immigration n'avait pas été le thème dominant de la campagne électorale. Pourtant, à peine installé au ministère de l'Intérieur, Charles Pasqua va s'atteler à trois réformes importantes, celles du Code de la nationalité, des contrôles d'identité et de la maîtrise de l'immigration. Trois textes qui, implicitement, délivrent un message de méfiance à l'égard des étrangers, soupçonnés de frauder pour entrer et séjourner en France ou de troubler l'ordre public.
Le ministre de l'Intérieur justifie son action début juin en affirmant que « la France ne veut plus être un pays d'immigration » (elle ne l'est plus depuis 1974, avec la suspension de l'immigration de travail), et que son objectif est « de tendre vers une immigration zéro ». Ces réformes législatives seront, en fait, la première bataille politique du nouveau gouvernement et un test pour la cohésion de la majorité. Elles seront, par ailleurs, plutôt bien reçues par une opinion publique à qui l'on promet par ce biais davantage de sécurité, un argument de poids en période de crise.
La réforme du Code de la nationalité est le premier texte important à être soumis à la nouvelle Assemblée. Cette réforme, particulièrement symbolique, qui touche au fondement de l'identité française, avait été à l'ordre du jour lors du précédent gouvernement de cohabitation. En 1986, le gouvernement de Jacques Chirac avait entrepris sous la pression du Front national de remettre en cause le jus soli (ou droit du sol), qui fait de la naissance sur le territoire français l'un des critères d'attribution de la nationalité. Mais son projet de loi (dit Chalandon) avait provoqué une telle levée de boucliers qu'on l'avait finalement enterré.
Le texte de Charles Pasqua est moins définitif. Il reprend certaines suggestions de la commission Marceau-Long : ce groupe de sages, présidé par le vice-président du Conseil d'État, avait été créé en 1987 pour calmer les esprits ; il avait longuement planché sur le thème de la nationalité et rendu son rapport en 1988. Le texte du ministre de l'Intérieur s'inspire surtout d'un projet de loi rédigé par Pierre Mazaud, que le ministre de l'Intérieur, alors président du groupe RPR au Sénat, avait fait adopter en 1990 par cette assemblée, de nuit et sans examen préalable.
Le 24 juin 1993, la réforme du Code de la nationalité est définitivement adoptée. Son innovation majeure est de subordonner l'acquisition de la nationalité, pour les enfants nés en France de parents étrangers, à la manifestation d'une volonté. Jusqu'alors, et cela depuis la loi de 1889 confirmée en 1927, ces enfants devenaient automatiquement français à 18 ans, à condition d'apporter la preuve de 5 ans de résidence régulière en France. La loi prévoit que, désormais, les enfants concernés devront, entre 16 et 21 ans, démontrer leur volonté d'adhérer à la communauté nationale par une déclaration. Les parents étrangers ne pourront plus demander la nationalité française pour leurs enfants mineurs. La déclaration volontaire, qui sera exigée à partir du 1er janvier 1994, s'appliquera à quelque 800 000 enfants déjà nés, selon l'INSEE. Désormais, ces enfants seront étrangers jusqu'à l'âge de 16 ans.
Autres dispositions qui marquent un tournant, les jeunes de 18 à 21 ans qui auront été condamnés pour crimes contre la sûreté de l'État, ou même à 6 mois de prison ferme pour divers délits, ne pourront plus obtenir la nationalité française. Un étranger marié à un Français devra attendre deux ans, au lieu de 6 mois, avant de pouvoir demander la nationalité. Les députés ont également supprimé la possibilité pour les binationaux de faire leur service ailleurs qu'en France. Les enfants nés en France de parents nés dans les anciennes colonies ne seront plus français, à l'exception des Algériens, si ce n'est à la condition que ceux-ci puissent justifier d'une résidence régulière en France depuis cinq ans : par application du double jus soli, ces enfants étaient auparavant français à la naissance.
Les députés limitent donc de fait le droit du sol, constitutif de la population française : 10 millions de Français, selon 1TNED, soit 1 sur 5, ont en effet un de leurs parents ou grands-parents étranger.