L'intégration s'accélère encore, fin juin, à Dublin toujours, lorsque les Douze décident d'engager une réflexion sur l'union politique parallèle à la conférence sur l'union économique et monétaire (UEM). Le principe d'une conférence intergouvernementale sur l'UEM vers la fin de 1990 avait été arrêté dès la fin de 1989 lors du Conseil européen de Strasbourg. Les Douze fixent donc non seulement la date de cette rencontre mais aussi celle de la Conférence qui traitera de l'union politique : toutes deux débuteront le samedi 15 décembre sous présidence italienne.

Anodin de prime abord, le fait de fixer cette date − ou du moins une date, quelle qu'elle soit − a son importance : en acceptant de s'asseoir autour d'une table de négociation à un moment donné, les gouvernements posent un nouveau jalon de la construction européenne. Il s'agit de se mettre d'accord sur la manière de réviser le traité de Rome et l'Acte unique afin de parvenir aux nouveaux objectifs : une monnaie unique et l'aménagement des institutions politiques qui doit l'accompagner.

D'ores et déjà, l'on sait que ces deux conférences, qui devraient durer près d'un an, n'aboutiront pas à la rédaction de l'« ultime » traité, à la définition de la phase finale de l'union européenne. Mais c'est un pas supplémentaire − certains parlent d'« Acte unique bis » − qui doit être accompli.

Cavaliers seuls

Crise du Golfe, unification des deux Allemagnes, débâcle de l'économie soviétique..., les événements qui se bousculent pendant le second semestre de l'année 1990 sont autant de défis lancés à la Communauté. Le moins que l'on puisse dire, c'est que, dans un premier temps, la crise du Golfe ne scelle pas l'unité de l'Europe. Britanniques et Français envoient des troupes dans la région. Italiens, Néerlandais et Espagnols participent aussi, à leur manière, à la force multinationale prête à s'opposer aux forces irakiennes. Les activités des uns et des autres sont coordonnées au sein de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), seule instance européenne compétente en matière de défense, mais qui ne comprend que neuf des douze pays de la Communauté (le Danemark, la Grèce et l'Irlande n'en font pas partie).

Pour opportune qu'elle soit, cette coordination reste limitée et elle n'empêche pas l'un ou l'autre de faire cavalier seul. Saddam Hussein reçoit tour à tour des personnalités allemandes, britanniques et danoises, qui ne sont certes pas des émissaires des gouvernements, mais n'en sont pas moins venues faire du charme au maître de Bagdad − au risque d'ébranler la cohésion occidentale − afin d'obtenir la libération de « leurs » otages. Par ailleurs, on s'interroge sur l'autonomie des forces européennes vis-à-vis de Washington en cas de conflit. Il est clair qu'en agissant chacun pour son compte les pays européens présents dans le Golfe se sont mis sous la coupe des États-Unis, ou du moins le seront si la guerre éclate.

Aussi l'idée d'une politique étrangère et d'une sécurité communes bénéficie-t-elle d'une nouvelle audience. La crise du Golfe ayant servi de détonateur, à la veille de la Conférence intergouvernementale sur l'opinion politique, une « communautarisation » partielle des politiques étrangères et de sécurité est sérieusement envisagée.

L'hypothèque Thatcher

Le 6 décembre, le chancelier Helmut Kohl et le président Mitterrand prennent une nouvelle initiative conjointe. Dans une lettre, ils déclarent que « la politique étrangère et de sécurité commune aurait vocation à s'étendre à tous les domaines » et que « l'union politique devrait inclure une véritable politique de sécurité qui mènerait à terme à une défense commune ». Même les Britanniques − conscients de l'irritation provoquée à Washington par le manque de cohésion des Européens − s'y mettent : ils s'affirment prêts à envisager une politique de sécurité commune, ou du moins la création d'un pilier européen de l'Alliance atlantique.

Le ton nouveau de Londres, fin 90, est la conséquence d'un événement susceptible de transformer la donne : le départ de Mme Margaret Thatcher du 10, Downing street. Lors d'un Conseil européen extraordinaire, à Rome, les 27 et 28 octobre, la « Dame de fer » a isolé la Grande-Bretagne de ses onze partenaires en refusant de s'associer à leur décision de lancer la deuxième phase du plan Delors sur l'UEM − qui correspond à la création d'un Système européen de banque centrale − le 1er janvier 1994. Moins d'un mois plus tard, Mme Thatcher démissionne et elle est remplacée par son chancelier de l'Échiquier, M. John Major. Si le lien de cause à effet n'est pas direct, il n'en demeure pas moins que l'intransigeance de la « Dame de fer » en matière européenne a précipité sa chute. Le nouveau gouvernement britannique est déterminé à maintenir le cap : ni monnaie unique ni institutions renforcées, mais la nouvelle équipe au pouvoir semble cependant ne pas vouloir rester isolée.