Adversaire de toujours de la cohabitation, Raymond Barre aurait dû être, à droite, le principal bénéficiaire des contraintes qu'elle imposait à son compétiteur du RPR. Il n'en fut rien. Certes, le mépris qu'il affichait, et depuis toujours, à l'égard de la « politique politicienne » l'enracina dans sa volonté de se présenter en candidat rassembleur au-dessus des partis. Mais il l'incita aussi à refuser d'intégrer les réseaux « RÉEL » dans la machine électorale de l'UDF, qui aurait pu donner du tonus à sa campagne présidentielle. Étroitement associée à l'action de Jacques Chirac, dont le style gouvernemental séduisait le PR, l'UDF éprouvait d'ailleurs quelque difficulté à accorder un soutien sans faille à un candidat qui ne pouvait que critiquer implicitement l'action du Premier ministre. L'étroitesse de la nouvelle majorité issue du 16 mars 1986 le condamnait, en effet, à soutenir de ses votes la politique de son compétiteur. Le pacte de bonne conduite qu'il avait, en outre, conclu avec ce dernier en vue de faciliter les reports de voix du second tour l'empêchait d'ouvrir avec lui un débat critique. En fait, entre le programme de Raymond Barre et celui de Jacques Chirac, l'opinion publique percevait moins les points de divergence que les points de convergence. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'elle ait finalement accordé, au soir du premier tour, un léger avantage de 3,39 % des suffrages exprimés à l'homme en charge du pouvoir. L'engagement immédiat et public du député de Lyon aux côtés du maire de Paris, conformément à leurs accords antérieurs, aurait dû sceller la victoire de Jacques Chirac au second tour.

Divisions et rassemblement

Le triomphe électoral remporté par Jean-Marie Le Pen la rendit impossible : plus de 14 % des électeurs inscrits avaient accordé leurs suffrages au truculent tribun populaire, qui sensibilisait les foules aux thèmes électoralement porteurs du SIDA, de l'immigration génératrice de chômage et de la sécurité.

Dès lors, les jeux étaient faits. La droite, avec un total de 50,88 % des suffrages exprimés, allait pourtant se révéler majoritaire le 24 avril ; mais, divisée en trois courants de forces sensiblement égales et, sur plus d'un point, antagonistes, elle ne pouvait prétendre se rassembler au second tour sur le nom de Jacques Chirac. Et cela d'autant plus que l'aile ouvrière du « lepénisme », évaluée à quelque 800 000 électeurs, était naturellement portée à rallier le camp de François Mitterrand, dont la reconduction à la tête de l'État était également préférée par quelque 500 000 « barristes ». À leur intention d'ailleurs, Michel Durafour et Gabriel Péronnet fondèrent une « Association de démocrates » non socialistes qui se préparaient déjà à répondre favorablement à la politique d'ouverture que le président de la République allait engager au lendemain de sa réélection le 8 mai.

En fait, cette ouverture était en latence depuis la présentation, le 19 juillet 1984, du gouvernement de Laurent Fabius sans participation communiste. Elle devint une nécessité avec la pulvérisation de la gauche non socialiste en quatre, voire en cinq tendances (à condition d'y adjoindre les écologistes d'Antoine Waechter) qui se révélèrent incapables de regrouper plus de 14,63 % des suffrages exprimés le 24 avril 1988, alors que Georges Marchais en avait rassemblé 15,34 % sur son seul nom le 26 avril 1981. Affaibli par la scission de Pierre Juquin qui tentait de rénover la gauche en lui assignant de nouveaux objectifs, amputé d'une grande partie de sa clientèle ouvrière par l'évolution de la technologie, le PCF subissait une nécrose dont témoigna la réduction de son électorat aux 6,76 % des suffrages exprimés que recueillit André Lajoinie.

Une telle conjoncture politique rendait impossible la reconstitution de l'Union de la gauche et par là même inviable la formation, à moyen terme, d'une majorité gouvernementale dont le PS serait la seule composante politique. François Mitterrand en tint grand compte en publiant le 7 avril la « Lettre à tous les Français ». Catalogue d'« intentions », cette missive omettait non seulement toute allusion au PCF, mais encore toute référence au socialisme. Il n'y perdit pas ses anciens électeurs auxquels il se présentait en garant des acquis sociaux. Il y gagna par contre l'appui de ceux qui avaient apprécié sa gestion de la cohabitation et qui voyaient désormais en lui le défenseur impartial des institutions. Il n'en fallut pas plus pour que son électorat déborde, le 24 avril 1988, avec 34,10 % des suffrages exprimés, celui du PS le 16 mars 1986 (32,65 %) et pour qu'il l'emporte largement sur Jacques Chirac le 8 mai avec une marge de 8,04 %.