Pour la plupart des pays européens, la modernisation des armes nucléaires n'était acceptable que si l'on avait épuisé au préalable toutes les virtualités de la maîtrise des armements (arms control). Aussi la résolution de l'OTAN en date du 12 décembre 1979 comportait-elle une offre de négociation. Celle-ci devait s'inscrire dans le cadre des SALT III afin de ne pas dissocier le sort des armes nucléaires de théâtre de celui des systèmes dits « centraux » et de favoriser ainsi le découplage. Du fait de l'ajournement de la ratification de l'accord SALT II (janvier 1980), après l'intervention soviétique en Afghanistan, la négociation emprunta d'autres voies.

Négociations de Genève

À l'origine, l'URSS opposa une fin de non-recevoir à la proposition occidentale et subordonna l'ouverture de pourparlers sur la limitation des INF à l'annulation de la décision de l'OTAN. Pendant l'été 1980, le chancelier Schmidt réussit à convaincre L. Brejnev de renoncer à ce préalable, et des conversations préliminaires entre les États-Unis et l'URSS eurent lieu à Genève du 17 octobre au 17 novembre suivant. Elles furent suspendues après l'élection du président Reagan, qui n'avait pas dissimulé pendant la campagne électorale le peu de cas qu'il faisait de l'arms control et était résolu à faire un effort de réarmement pour rétablir l'équilibre compromis par le laxisme des Administrations antérieures. Cependant, sous la pression conjuguée des mouvements pacifistes et des gouvernements des pays alliés, les États-Unis modifièrent leur attitude et, le 30 novembre 1981, s'engageaient à Genève les négociations soviéto-américaines sur la limitation des INF, indépendamment des négociations sur la réduction des armements stratégiques qui ne s'ouvrirent qu'en juin 1982, dans un forum séparé.

Peu d'informations ont filtré sur les négociations de Genève, mais on connaît les grandes lignes des propositions qui ont été faites d'entrée de jeu. Les États-Unis ont exigé le démantèlement des engins balistiques terrestres du type SS 4, SS 5 et SS 20 en échange de la renonciation au déploiement des Pershing II et des missiles de croisière : cette requête correspondait à l'« option zéro » énoncée par le président Reagan dans son allocution devant le National Press Club, à Washington, le 18 novembre 1981. L'Union soviétique a rejeté cette formule au motif qu'elle contrevenait au principe de la « sécurité égale » et lui a opposé deux variantes : l'élimination de toutes les armes nucléaires tactiques et intermédiaires déployées en Europe ou le retrait de ces dernières seulement. Si ces solutions maximales étaient jugées prématurées ou hors de portée, on pouvait envisager une réduction proportionnelle des 2/3 des armes de portée intermédiaire, étant entendu qu'au terme du processus ne subsisteraient plus que 300 vecteurs de part et d'autre. On serait parvenu ainsi à une limitation du niveau des armements nucléaires en Europe, tout en préservant l'équilibre existant.

Concessions mutuelles

Les États-Unis et leurs alliés ne souscrivaient pas à l'évaluation soviétique du rapport des forces et estimaient qu'ils se trouvaient en situation d'infériorité par rapport à l'Est dans la proportion de 1 à 6. En outre, ils considéraient qu'on ne pouvait pas mettre sur le même plan des engins balistiques et des vecteurs pilotés. Les bombardiers américains étaient vulnérables au sol et leur capacité de pénétration était problématique du fait de la modernisation de la défense contre-avions du pacte de Varsovie. Les fusées soviétiques SS 20, au contraire, étaient mobiles et pouvaient être soustraites à la destruction préventive ; au demeurant, elles se prêtaient fort bien à une agression par surprise. Enfin, on se refusait à assimiler les forces nucléaires françaises et britanniques aux armes de théâtre américaines, puisque leur fonction était incompatible avec la mise en œuvre d'une stratégie de « riposte adaptée ».

En décembre 1982, l'Union soviétique a fait des concessions en acceptant de ramener le niveau de ses engins balistiques terrestres au niveau des fusées mer-sol et sol-sol françaises et britanniques (162) et de n'envisager la limitation des bombardiers à moyen rayon d'action qu'à une phase ultérieure des pourparlers. En outre, elle consentait à définir l'équilibre en fonction du nombre des charges nucléaires disponibles de part et d'autre, alors que dans le passé elle ne comptabilisait que les vecteurs sans se soucier outre mesure de leurs performances. Toutefois, l'URSS insiste toujours pour que les forces nucléaires des puissances tierces soient prises en compte. Du côté occidental, les États-Unis ont relevé les inflexions de la position soviétique et ont salué ses aspects positifs tandis que la France et la Grande-Bretagne maintiennent leur refus du décompte de leurs forces nucléaires dans la négociation.

La promenade dans les bois

À mesure que se rapproche l'échéance du déploiement des premières fusées Pershing II en RFA et des missiles de croisière en Grande-Bretagne et en Italie, les spéculations sur les chances d'un accord se donnent libre cours, bien que la plupart des analystes se montrent sceptiques quant à l'issue des pourparlers de Genève. Certes, les États-Unis ont fait de nouvelles propositions qui laissent entrevoir la possibilité d'une solution intermédiaire, mais l'URSS ne paraît pas disposée à souscrire à une formule qui avaliserait le déploiement de nouvelles fusées américaines en Europe, même si leur nombre devait être plus limité que celui prévu initialement. En revanche, Y. Andropov a indiqué dans un entretien accordé à la Pravda du 26 octobre 1983 que l'URSS était disposée à réduire à 140 le nombre de ses fusées et à négocier un accord sur la limitation des bombardiers, si les États-Unis renonçaient au déploiement de leurs missiles. Or, si l'on tient compte des ogives nucléaires, l'équivalence entre les potentiels soviétiques, d'une part (420), français et britanniques, d'autre part (290), serait loin d'être réalisée. En outre, la partie occidentale ne saurait considérer les forces nucléaires de la France et de la Grande-Bretagne comme un substitut aux INF américains, puisque celles-ci sont au service d'une stratégie de riposte graduée, alors que celles-là sont affectées à la défense des intérêts vitaux du pays et ne se prêtent pas à une dissuasion élargie.