Mais la masse de ces bosons intermédiaires, que la théorie prévoit avec précision, est très élevée : selon l'équivalence masse-énergie, elle est de 88 GeV (milliards d'électronvolts) pour le Z et de 77,9 GeV pour chacun des W. Il en résulte que le choc proton-antiproton doit être assez violent pour que l'énergie utilisée dans la création du boson soit au moins de l'ordre de 100 GeV. Les protons étant des particules composites, cette énergie ne représente qu'une part de l'énergie totale du choc.

Aucun laboratoire dans le monde ne disposait jusqu'ici des machines nécessaires pour créer des faisceaux d'antiprotons assez denses et les lancer contre des protons en communiquant aux deux faisceaux les énergies requises.

Détecteurs

Les physiciens du CERN ont eu l'idée de transformer leur grand synchrotron à protons de 400 GeV, le SPS, en un collisionneur protons-antiprotons. Ces derniers, qui n'existent pas dans la nature, sont produits dans l'ancien synchrotron de 26 GeV, le PS, par collision de protons accélérés avec les prêtons d'une cible fixe. Chaque impact engendre un jet de particules secondaires parmi lesquelles se trouvent plusieurs millions d'antiprotons, qui sont stockés dans l'anneau magnétique d'un accumulateur. Lorsque le faisceau d'antiprotons atteint une intensité suffisante, il est injecté à son tour dans le PS, qui l'accélère à 26 GeV, puis transféré dans le SPS. Aussitôt après, le PS envoie dans le SPS des protons de 26 GeV. Porteurs de charges de signe contraire, protons et antiprotons tournent en sens inverse dans le SPS, qui les accélère jusqu'à 270 GeV, obtenant ainsi une énergie de collision de 540 GeV.

Les premières interactions protons-antiprotons ont été observées en juillet 1981. La luminosité du collisionneur — autrement dit la densité des faisceaux de particules — n'était pas encore suffisante pour la détection des bosons intermédiaires : ces premiers essais ont surtout permis de vérifier que les autres particules produites lors des collisions ont des taux de production proches de ceux qui étaient prévus et ne gêneront pas la détection des Z et des W. Celle-ci est espérée pour le courant de 1982, grâce à des aménagements accroissant la luminosité.

Cinq laboratoires, dont deux français, collaborent à cette chasse aux bosons intermédiaires. Couvrant un domaine d'énergie encore peu exploré, le collisionneur remplira d'autres missions, pour lesquelles sont mis en place des détecteurs spécialisés. Il s'agit notamment de reproduire des événements inexpliqués qui ont été observés avec des rayons cosmiques de très haute énergie et de vérifier les prédictions de la chromodynamique quantique sur les interactions entre les quarks (Journal de l'année 1978-79).

Les données déjà recueillies lors des premières collisions protons-antiprotons confirment que les quarks et les antiquarks qui les constituent ont une taille au moins mille fois inférieure. Ces dimensions quasi ponctuelles renforcent l'espoir, entretenu par quelques physiciens, que la science aurait enfin atteint le stade ultime du démontage de la matière, avec une infraparticule réellement élémentaire, indécomposable en éléments plus petits.

LEP

Après avoir connu pendant plus de cinq ans de nombreuses vicissitudes, le projet de construction d'un grand anneau de collisions électrons-anti-électrons (ou positrons) a été accepté par le conseil du CERN, en octobre 1981, et le nouveau tracé a été approuvé en décembre. Le LEP (tel est le sigle adopté pour désigner cet instrument circulaire de 9 km de diamètre) évitera finalement le sous-sol du Jura et passera plus à l'est. Près d'un quart de la circonférence sera situé en Suisse.

Choc

Le LEP fonctionnera selon le même principe que le SPS dans sa forme actuelle, c'est-à-dire que des particules chargées de signe contraire, accélérées par les mêmes champs magnétiques, tourneront en sens inverse et entreront en collision frontale. Mais il s'agit de particules beaucoup plus légères que les protons et qui, de ce fait, rayonnent beaucoup plus d'énergie lorsque leur trajectoire est incurvée sous l'effet d'un champ magnétique (c'est le rayonnement synchrotron). Le seul moyen de réduire la perte d'énergie est d'accroître le rayon de courbure, ce qui explique les dimensions gigantesques du nouvel instrument.