Du point de vue de la Communauté européenne, la question est de savoir si elle s'exprimera d'une seule voix dans ces grandes rencontres internationales. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.
Une première difficulté apparaît quand Harold Wilson demande une représentation séparée pour la Grande-Bretagne au sein de la conférence Nord-Sud, sous prétexte que son pays va devenir exportateur de pétrole. De fait, cela constitue une originalité par rapport à tous les autres pays de la Communauté qui sont importateurs. Les Anglais souhaitent donc un prix du pétrole le plus rémunérateur possible, d'autant que les gisements de la mer du Nord sont très coûteux à exploiter. Au contraire, les autres pays européens désirent tout naturellement un prix plus modéré. Finalement H. Wilson s'incline de mauvaise grâce devant ses partenaires européens au mois de novembre. Mais le représentant de la Communauté à la conférence Nord-Sud ne pourra pas s'exprimer sans tenir compte du particularisme britannique.
À la conférence des Nations unies pour le développement (CNUCED) qui se tient en mai 1976 à Nairobi, d'autres divergences apparaissent au sein des pays européens. Les Anglais et les Allemands sont beaucoup moins disposés que les Français à favoriser la stabilisation des cours des matières premières, stabilisation vitale pour les ressources du tiers monde.
Enfin, les petits pays membres de la Communauté ne voient pas d'un bon oeil la multiplication des sommets occidentaux à Rambouillet d'abord, puis à Porto Rico en juin 1976. Ces réunions se tiennent sans leur participation et ils ont le sentiment d'être des citoyens européens de seconde zone en voyant les grands de l'Europe jouer seuls les premiers rôles auprès des États-Unis et du Japon.
Un brevet communautaire
La convention signée par les Neuf le 15 décembre 1975 à Luxembourg crée un nouveau titre de propriété industrielle : le brevet communautaire. Il crée pour la première fois un droit unitaire embrassant un vaste domaine et se superposant aux législations nationales, qui devront s'harmoniser.
Accords
Ces aléas n'empêchent pas la Communauté de poursuivre une politique active avec certains pays extérieurs, notamment avec les pays méditerranéens. En avril 1976, de nouveaux accords d'association sont conclus avec la Tunisie, l'Algérie et le Maroc. Il ne s'agit plus seulement de faciliter les relations commerciales, mais aussi de réaliser la coopération technique, financière et sociale, notamment en améliorant les statuts des travailleurs migrants. Un accord commercial est conclu avec Israël, et des pourparlers de même nature sont en cours avec l'Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie.
Plus délicates, politiquement, sont les discussions sur les relations avec la Grèce et la Turquie d'une part, avec l'Espagne et le Portugal d'autre part. La Grèce et la Turquie sont en conflit à propos de Chypre. Toutefois, le principe d'une entrée de la Grèce dans le Marché commun est posé. Avec le Portugal, la Communauté fait savoir, dès l'été 1975, que des relations économiques et financières sont subordonnées à l'établissement d'une société pluraliste. C'est un préalable politique. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une innovation. La Communauté européenne avait rompu ses accords avec la Grèce lorsque Athènes était tombée sous le régime des colonels. L'évolution du pouvoir à Lisbonne dans le sens de la modération devait ultérieurement faciliter les relations entre le Portugal et la Communauté.
Des problèmes de même nature se posent avec l'Espagne malgré le désir maintes fois manifesté par la France de lier ce pays à la Communauté. Ce n'est qu'après l'arrivée au pouvoir de Juan Carlos, au début de 1976, que les pourparlers reprennent sérieusement entre Madrid et Bruxelles.
Cette ouverture de la Communauté européenne sur le bassin méditerranéen trouve sa justification sur le plan politique, elle pose néanmoins des problèmes économiques sérieux. Il s'agit, en effet, de pays dont les agricultures sont directement concurrentes des agricultures méditerranéennes des pays membres de la Communauté, à savoir de la France et de l'Italie. Nous voilà déjà au cœur de cette dialectique union politique-union économique qui marque la nouvelle phase de la construction européenne.
Rapport Tindemans
Il avait été décidé, dès 1972, que l'union politique européenne deviendrait une réalité en 1980. Dans cette perspective, les Neuf avaient chargé le Premier ministre belge, Léo Tindemans, en 1974, d'inventorier les voies et moyens de cette union européenne. L. Tindemans fait le tour des capitales et rencontre, avec beaucoup d'application, les dirigeants politiques, les leaders syndicalistes et les chefs du patronat. Puis il rédige un rapport qui est rendu public en janvier 1976. Il y a longtemps qu'un document sur la Communauté européenne n'a pas connu un pareil retentissement.