À ce stade, on le voit, le débat glisse insensiblement du technique au politique. La formulation la plus élaborée de cette opposition globale a été donnée en janvier 1975 par un groupe de professeurs et de chercheurs grenoblois, dans un rapport intitulé Réflexions sur les choix énergétiques français. Unissant en un faisceau toutes les critiques, ce document en vient à mettre en question le programme gouvernemental et à proposer une stratégie alternative. Sans entrer dans le détail de ses démonstrations, retenons qu'il conteste à la fois l'ampleur des besoins d'énergie estimés, la compétitivité alléguée en faveur de l'énergie nucléaire, l'évaluation des risques, la façon monolithique dont EDF et le gouvernement ont pris leur décision, enfin la réalité de l'indépendance que le nucléaire devrait nous assurer. Le scénario qu'il propose met au premier rang la recherche des économies d'énergie et le recours prioritaire à toute la variété des ressources possibles : charbon national, gaz naturel, géothermie, chaleur récupérée, etc. Selon ses calculs, il serait ainsi possible de limiter le programme atomique aux treize tranches commandées en 1974.

Sans aller jusque-là, on peut penser que le brusque élan pris en 1974 va se ralentir. Il est significatif que le gouvernement n'ait pas pris d'engagement ferme après 1977, alors que la logique industrielle exigerait que les constructeurs puissent tabler sur des programmes à long terme. Par le biais d'une consultation régionale sur les implantations des centrales, la discussion a été officiellement portée devant le public. Un débat parlementaire, qui s'est déroulé le 15 mai 1975, n'a pas conclu à la remise en question du programme gouvernemental. Il n'est pas sûr que le Français moyen puisse se faire une opinion valable sous l'avalanche de chiffres contradictoires que les experts déversent sur lui. Du moins sera-t-il désormais difficile de soutenir qu'une orientation décisive de la politique économique aura été prise à la dérobée.

Automobile

Un avenir qui s'assombrit

Singulière période pour les constructeurs d'automobiles, contraints de scruter les moindres réactions des acheteurs pour tenter de déchiffrer l'avenir. L'âge d'or, bien sûr, c'est fini. Plus jamais l'industrie automobile ne connaîtra ces rythmes affolants, cette progression annuelle de 7 à 10 % qui caractérisait la belle époque. Mais, pour le reste, c'est l'inconnu. Un brouillard diffus dans lequel les industriels s'engagent avec prudence et que les résultats de 1974, comme ceux du premier semestre 1975, ont plutôt contribué à obscurcir.

Pour l'industrie automobile française, 1974, en effet, ne s'est pas trop mal passé. Alors que la tempête déferle sur la plupart des pays européens et sur les États-Unis, que les géants (Fiat, Volkswagen, British Leyland ou Ford) licencient des employés par milliers, voient fondre leurs bénéfices et gonfler leurs stocks, les grands constructeurs de l'Hexagone font pour la plupart bonne figure dans la tourmente : Renault va même (pratiquement seul dans le monde) jusqu'à augmenter sa production. Et la France, avec une production diminuant seulement de 4 %, talonne la RFA (3 100 000 véhicules), qui, elle, accuse une chute de 22 %.

Déclin

Bien sûr, certaines ombres obscurcissent ce tableau. La crise, notamment, accélère le déclin de Citroën, victime d'une mauvaise gestion et d'une aberrante politique de modèles. Sous la bénédiction de l'État – qui fournit les prêts nécessaires (un milliard à Citroën et 450 millions à Renault) –, la firme du quai de Javel doit demander la protection de Peugeot, tandis que sa filiale poids lourds (Berliet) est reprise par la Saviem-Renault.

Mais enfin, le marché intérieur résiste et les exportations fournissent toujours un précieux pactole à la balance commerciale de la France, tandis qu'une série de nouveaux modèles – Citroën CX 2 000, Renault 30 TS ou Peugeot 604 – atteste du dynamisme de l'automobile française. Ce n'est pas Austerlitz, certes, mais encore moins Waterloo.