Enfin, des facteurs historiques ou politiques sont souvent intervenus pour favoriser le développement des firmes multinationales. C'est le cas du colonialisme pour certaines sociétés anglaises et néerlandaises, et de la doctrine Monroe puis du plan Marshall pour certains groupes américains. Ce qui fait dire parfois que le multinationalisme est souvent le reflet économique de l'impérialisme, c'est-à-dire l'exploitation des pays prolétaires par les pays capitalistes. Les économistes François Perroux, avec son « effet de domination », et Maurice Byé, avec ses « GUI » (grandes unités interterritoriales), l'ont clairement expliqué.
Critères
Selon Jacques Maisonrouge, vice-président d'IBM, une firme dite multinationale doit obéir à cinq critères :
– Elle opère dans de nombreux pays qui n'en sont pas au même stade de développement économique ;
– Elle confie la direction de ses filiales à des nationaux ;
– Elle possède une organisation industrielle complète dans plusieurs pays ;
– Elle dispose d'une direction centrale multinationale ;
– Elle a disséminé son capital à l'échelle internationale.
Si on dresse la liste des firmes qui remplissent ces conditions, on constate — ce n'est pas une surprise — qu'elle recoupe approximativement celle des groupes réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 10 milliards de francs. Toutefois, l'adéquation n'est pas totale. Certains géants ne sont pas multinationaux : telles certaines sociétés de service comme les compagnies américaines Western Electric (installations téléphoniques) et Greyhound (transports routiers), ou, pour des raisons de secret militaire, les constructeurs de matériel aéronautique (Boeing, Lockheed, Rockwell, United Aircraft), ou encore les sidérurgistes (US Steel, Nippon Steel, British Steel, Bethlehem Steel). Ces derniers, en effet, travaillent dans un secteur vieillissant et peu rentable.
En revanche, certaines entreprises peuvent être qualifiées de multinationales malgré leur taille relativement modeste. C'est généralement le cas de sociétés dont la spécialisation très particulière ne nécessite pas une grande dimension : McKinsey (conseil en management), Berlitz (enseignement de langues vivantes), Schlumberger (géologie pétrolière), Kelton-Timex (horlogerie), etc.
Cela dit, il reste qu'une société multinationale est, la plupart du temps, très importante, puisqu'il lui faut de gros moyens pour multiplier ses implantations.
Suprématie
Près des deux tiers des firmes multinationales sont américaines. Cette suprématie tient évidemment à la puissance de l'économie des États-Unis et à son avance technologique, bref à sa compétitivité. Mais elle tient aussi, depuis les accords monétaires de Bretton Woods (1944) jusqu'à la non-convertibilité du dollar (mars 1968), à l'existence de l'étalon de change-or, qui permit aux Américains, pendant vingt-quatre ans, de racheter à bon compte les industries du vieux continent. Elle tient enfin aux retombées du plan Marshall (23 milliards de dollars), et au fait que la diplomatie des États-Unis a toujours accompagné et favorisé, parfois par tous les moyens, l'agressivité de ses ressortissants sur les marchés extérieurs.
D'autres nationalités apparaissent cependant dans la liste des firmes multinationales. Les sociétés britanniques ont su profiter à la fois du brillant passé industriel de l'Angleterre, de ses traditions commerciales, de ses liens avec le Commonwealth et du rôle financier de la City (British Petroleum, Shell, Imperial Chemical Industries, BLMC, General Electric, Dunlop, Courtaulds, RTZ, Associated Foods, etc.).
Des firmes belges (Solvay, Petrofina), hollandaises (Unilever, Philips, AKZO), suédoises (SKF, ASEA, Ericsson, Volvo) et suisses (Nestlé, Ciba-Geigy, Hoffmann Laroche, Sandoz, Brown Boveri), implantées à l'origine sur un petit marché, n'avaient d'autres ressources pour grandir que le multinationalisme.
Les deux derniers adhérents au club multinational sont l'Allemagne et la France. Le cas de l'Allemagne s'explique par l'absence de passé colonial, une certaine tradition autarcique et, surtout, la priorité qu'elle a dû établir, après 1945, en faveur de sa propre reconstruction. Mais tout indique maintenant que l'Allemagne rattrape très vite ce retard. Le développement multinational de Volkswagen, Daimler-Benz, Hoechst, Siemens, Bayer, BASF et AEG-Telefunken le prouve amplement.