Armée

Stratégie nouvelle et statut sans audace

En présidant la dernière phase des manœuvres nationales qui ont lieu à la fin de juin 1971 dans plusieurs départements du Sud-Est et en Méditerranée, Georges Pompidou s'emploie à remonter le moral des marins français, très déçus et amers sur leur avenir depuis la démission, l'année précédente, de leur chef d'état-major, l'amiral André Patou. Ce geste de confiance, le président de la République le renouvelle le 22 octobre 1971, à Brest, en visitant le premier sous-marin lance-missiles à propulsion nucléaire, le Redoutable.

Réorganisation

Des manœuvres nationales en Méditerranée, le gouvernement et les états-majors tirent ensemble une conclusion : dans cette région du monde où la France veut maintenir intacte sa liberté d'action, il convient tout d'abord de réorganiser le commandement militaire à Toulon. C'est le vice-amiral Brasseur-Kermadec qui en est chargé en septembre 1971. Nommé préfet de la IIIe région maritime, il a pour mission de concentrer, dès le temps de paix, en ses mains le commandement de tous les moyens maritimes et aéronavals de la Méditerranée, et il se préoccupera d'entraîner l'ensemble de ces forces au combat pour qu'elles soient en mesure de se préparer — dans les délais les plus courts et aux moindres frais — à la menace d'une crise. Il devra, en même temps, assurer la sécurité du théâtre d'opérations qui lui est confié et continuer, néanmoins, à remplir les tâches traditionnelles de la marine.

Il n'est plus fait, dans la pratique, de distinction entre les attributions du temps de paix et celles qui sont reconnues au préfet maritime en période de crise. Ainsi, les armées, qui observent l'expérience tentée par le vice-amiral Brasseur-Kermadec, espèrent-elles mettre progressivement sur pied une organisation du haut commandement qui ne présente aucune discontinuité entre le temps de paix et la menace d'une tension internationale plus ou moins aiguë. En même temps qu'elle réorganisait ses commandements opérationnels et territoriaux, la marine nationale renforçait ses moyens.

Le 4 décembre 1971, à Cherbourg, la coque du troisième sous-marin nucléaire lance-missiles, le Foudroyant, est mise à l'eau. En service probablement en 1974, ce bâtiment recevra des missiles de 3 000 km de portée, avec une bombe dopée de 500 kilotonnes, soit une puissance vingt-cinq fois supérieure à celle de l'engin d'Hiroshima. Dans la nuit du 28 au 29 janvier 1972, le premier sous-marin de cette série de cinq, le Redoutable, commandé par le capitaine de frégate Bernard Louzeau, part pour sa première croisière opérationnelle de Brest. Il demeure en plongée durant cinquante jours, dans une zone qui n'a pas été précisée, avec ses cent trente-cinq hommes d'équipage prêts, le cas échéant, sur un ordre de l'État retransmis depuis la base de Rosnay (Indre), à déverser leurs seize missiles dotés d'une charge de 500 kilotonnes à 2 500 km de distance. Enfin, le 28 janvier 1972, une force navale (trois escorteurs d'escadre, un pétrolier, un bâtiment de soutien logistique et un détachement de fusiliers marins commandos) est envoyée, pour cinq mois, dans l'océan Indien pour une série d'exercices d'endurance qui rappellent la campagne Mascareignes de 1966.

Prévisions

Le gouvernement, en rendant public, le 3 mars 1972, un plan d'équipement à très long terme, satisfait pleinement la marine nationale. Pour les quinze années prochaines, le ministère de la Défense s'engage à aligner une force navale stratégique de cinq sous-marins nucléaires lance-missiles ; une flotte sous-marine composée d'une vingtaine de sous-marins d'attaque à propulsion classique ou nucléaire ; une marine de surface constituée de deux porte-avions et de deux porte-hélicoptères, d'une trentaine de corvettes ou frégates, de trente-cinq avisos environ et d'une trentaine de patrouilleurs ou vedettes rapides ; enfin, de dragueurs et de chasseurs de mines. Les effectifs de la marine (68 300 personnes actuellement) seront progressivement accrus de quelque 4 000 officiers et officiers mariniers.