Pour appeler les villageois à la messe funèbre, comme le veut l'habitude paysanne, les cloches commencent à sonner trois quarts d'heure avant l'office, fixé à 15 h ; peu après, tous les glas des clochers de France lui feront écho.
À trois heures moins dix, le portail de la Boisserie s'ouvre : le général de Gaulle le franchit pour la dernière fois. Le cercueil recouvert d'un drapeau tricolore est disposé sur un engin blindé de reconnaissance dont la tourelle a été retirée. Derrière, quatre voitures suivent très lentement : Mme de Gaulle, son fils Philippe et les autres membres de la famille y ont pris place. Au passage, des hommes et des femmes pleurent ; d'autres encore saluent en esquissant des doigts le V des années sombres.
Quand le cortège arrive sur le parvis de l'église, l'engin blindé s'immobilise. Les troupes, brièvement et sans fanfares — conformément au vœu du défunt —, rendent les honneurs. Deux cents hommes environ sont disposés sur la petite place, au centre de laquelle se dresse le monument aux morts : des saints-cyriens, des élèves de l'École de gendarmerie de Chaumont, des soldats du 501e Régiment de chars de Rambouillet, des fusiliers marins, des aviateurs qui portent l'écusson de l'escadrille Normandie-Niémen.
Multitude silencieuse
Aussitôt après, douze jeunes gens de Colombey prennent la bière sur leurs épaules et pénètrent dans l'église. Il est 15 h et le plain-chant s'élève : « Requiem aeternam dona eis Domine... » Sauf l'Agnus Dei et le Libera me, prières et cantiques sont dits en français, comme pour tout le monde désormais. Aucun sermon, aucune homélie ne sont prononcés. Les officiants incitent à prier « dans l'unité de notre attachement et de notre fidélité au général de Gaulle que Dieu a rappelé à lui » et « pour notre frère Charles de Gaulle ». Le RP François de Gaulle, neveu du général, venu d'Afrique pour concélébrer la messe avec Mgr Atton, évêque de Langres, et l'abbé Claude Jaugey, curé de Colombey, lit le passage de la seconde épître de Paul à Timothée : « Souvenez-vous que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts. » Après la consécration, la communion est distribuée dans les bancs. Mme de Gaulle est la première à la recevoir. La messe dure un peu moins d'une heure.
Les douze jeunes de Colombey portent alors le cercueil jusqu'à la tombe, où une dernière bénédiction est donnée en présence seulement de la famille, qui quittera le lieu très vite. Aussitôt après, le cercueil, recouvert de son drapeau tricolore, est descendu. La dalle est reposée.
C'est tout. Une étonnante impression d'intimité se dégage. Mais ces simples obsèques ont été suivies par des centaines de millions de témoins devant la télévision. La cérémonie a été diffusée en mondiovision.
Hommage des Parisiens
À peine la tombe refermée se presse le long cortège de ceux qui veulent s'incliner devant elle. Ce cortège se déroule durant de longues heures ; il se reproduira les jours suivants. Colombey, lieu historique, devient lieu de pèlerinage : de nombreuses personnalités vont s'y rendre, notamment de nombreux chefs d'État africains, qui seront reçus à la Boisserie.
Le soir de ce 12 novembre, Paris rend au plus illustre des Français un hommage colossal. En trois jours, 26 000 d'entre eux se sont rendus 27, avenue de Breteuil, siège du secrétariat parisien du général de Gaulle (qu'il ne fréquenta jamais). Tous ces Parisiens ont signé les registres de condoléances et témoigné leur reconnaissance ; une formule revient souvent : « Merci, de Gaulle ! »
Mais, le soir, c'est une foule, émue, innombrable, dense, qui de la Concorde à l'Étoile forme un immense cortège. Chacun porte à la main une fleur. Indifférents au vent et à la pluie battante, hommes et femmes remontent l'avenue en silence pour pouvoir jeter une à une les roses, les œillets, les tulipes, les glaïeuls sous l'Arc de Triomphe, où grandit la plus fabuleuse gerbe.
Place Charles-de-Gaulle
Sous le choc de l'émotion de la nouvelle de la mort de l'ancien chef de l'État et de l'homme du 18-Juin, le Conseil de Paris décide à l'unanimité, le 10 novembre 1970, d'attribuer le nom de Charles de Gaulle à la place de l'Étoile. Cette décision suscite des réprobations nombreuses, parfois même chez des gaullistes. Un Comité de défense de la place de l'Étoile se constitue et organise plusieurs manifestations. Des polémiques s'ensuivent. Une partie des conseillers municipaux envisagent un moment de revenir sur le vote. Cependant, la place Charles-de-Gaulle est finalement inaugurée le 15 décembre 1970.