Mais c'est bien davantage à l'occasion de l'affaire du Figaro que s'est posée en pleine lumière la question du rôle et des droits des journalistes dans les organes auxquels ils collaborent. Le désaccord opposant d'une part la direction et la rédaction de ce journal, d'autre part ses propriétaires, J. Prouvost et Béghin, détenteurs de 97,25 % des actions, s'était déjà exprimé par une grève de seize jours au mois de mai 1969 (Journal de l'année 1968-69), conflit qui avait abouti à la nomination d'un administrateur provisoire. Afin d'obtenir que la direction et l'orientation de l'entreprise leur soient confiées, par le moyen d'une société fermière comme ce fut le cas de 1950 à 1969, treize membres de l'équipe constituée à la Libération par Pierre Brisson et la société des rédacteurs du Figaro intentaient une action judiciaire à rencontre de la société propriétaire. Sans entrer dans le détail des arguments échangés et des péripéties de la procédure, relevons que le tribunal civil de Paris décidait, le 18 février 1970, que le titre du Figaro ne pouvait être utilisé par ses propriétaires sans l'assentiment de cinq membres de l'équipe Brisson et engageait les deux parties à négocier. Ce dernier vœu n'était pas suivi d'effets. Pour la première fois, cependant, un jugement avait reconnu les droits moraux des journalistes sur leur journal et la personnalité juridique d'une société de rédacteurs. C'est en ce sens que l'affaire dépassait notablement le cas de la seule publication en cause.
La presse parlée et en images
Il existe évidemment des intérêts, des situations et des problèmes communs à toute la presse, quelle qu'en soit la forme.
Ainsi la liberté d'expression, l'affaire du Figaro, les grèves de journalistes, les questions nouvelles posées par le progrès technique, par l'expansion de la publicité ou par les variations des goûts et de la clientèle, concernent, sous des formes tantôt semblables, tantôt différentes, en même temps que la presse écrite, les chaînes de radio et de télévision privées, ainsi que, à certains égards, l'ORTF. Quand une convention internationale est envisagée pour protéger les journalistes en mission périlleuse, on songe aussi bien à Prémonville de l'Agence France-Presse, tué en Corée, à Leveuf, de France-Soir, assassiné sur une route du Maroc, que, plus près de nous, à Georges Penchenier, de RTL, emprisonné en Tchécoslovaquie, ou à Michel Honorin et son équipe de télévision un moment retenus au Tchad. Des ouvrages comme la monumentale Histoire générale de la presse française, dont le premier tome a été publié en octobre 1969 (et qui en comptera quatre), des pourparlers comme ceux qui ont trait à l'installation dans l'Hôtel d'Albret, au cœur du Marais, offert par la municipalité de la capitale d'une Fondation des journalistes, intéressent tous les membre d'une profession où l'on passe volontiers du stylo à la caméra ou au micro.
Cependant, les problèmes spécifiques de la presse radiotélévisée ont revêtu en 1969-70 une importance considérable à l'occasion de la réorganisation de l'Office de la Radiotélévision française, la plus grande entreprise d'information, de spectacle et d'enseignement du pays, au statut de monopole d'État.
L'un des leitmotive de la campagne présidentielle de juin 1969 avait été le respect ou plutôt le rétablissement de « l'objectivité de l'ORTF », exigée par les opposants, promise par Georges Pompidou. Aussitôt élu, le nouveau président donnait donc instruction de préparer une réorganisation de l'Office, tout au moins dans tout ce qui touchait à l'information du public. Et le nouveau Premier ministre, J. Chaban-Delmas, s'engageait solennellement, à plusieurs reprises, à garantir la liberté des journalistes, l'équilibre et l'honnêteté de l'information télévisée et parlée.
Il faut reconnaître qu'il s'agit d'un problème difficile, presque insoluble. D'une part, les règles, le statut et les habitudes de la profession assurent aux journalistes de l'ORTF les mêmes garanties d'indépendance qu'à leurs confrères et il est naturel qu'ils en usent dans un esprit de concurrence et d'émulation. D'autre port, la situation de monopole fait que c'est toujours l'État qui semble, peu ou prou, s'exprimer sur les ondes de l'Office et qui se trouve en définitive impliqué, engagé presque, par tout ce qui s'y montre ou s'y dit. Que le contrôle de la puissance publique s'appesantisse et se resserre, comme ce fut le cas de 1958 à 1968, et l'autocensure, la tentation de la propagande, les manipulations incessantes de l'information créent le sentiment d'un détournement du bien commun au profit d'une tendance politique, fût-elle majoritaire, et d'un trucage délibéré. Que l'autorité s'efface, comme pendant quelques jours en mai-juin 1968, et l'opinion, désorientée, parfois ravie, parfois indignée, mesure d'un coup l'immense portée de ce mode d'expression. Les licenciements massifs qui ont suivi ont rétabli pour un temps la situation antérieure, bien que la justice ait parfois donné gain de cause et fait verser d'importantes indemnités aux journalistes qui plaidaient la révocation abusive. Pourtant, là comme ailleurs, mai avait agi comme un révélateur et une certaine libéralisation était devenue indispensable.