Au matin du 11 mai, les lecteurs du Figaro trouvent chez leurs marchands de journaux, en place de leur quotidien habituel, un tract signé par les journalistes leur expliquant le pourquoi de la grève. Dans le contexte de la campagne des élections présidentielles, l'absence du Figaro crée un déséquilibre que diverses personnalités extérieures au journal aimeraient voir cesser au plus tôt.

Le troisième jour, Jean Hamelin, président de la société propriétaire, apporte aux délégués de la rédaction une proposition transactionnelle qui n'est pas jugée suffisante. Le lendemain jeudi, la Société fermière a juridiquement cessé d'exister.

La fièvre monte d'un degré au Rond-Point des Champs-Élysées, où l'on craint un licenciement collectif. Les journalistes occupent les locaux de la rédaction 24 heures sur 24.

Le droit de veto

« On ne peut plus aujourd'hui acheter un journal comme on achetait au XVIe siècle un bateau avec sa cargaison de nègres », dit André Frossard, à Lille, au cours d'une réunion publique. « Nous nous refusons à être de ceux qui vendent leur âme pour vendre du papier », ajoute Claude Mauriac, également chroniqueur au Figaro.

Jean Prouvost et Ferdinand Béghin jugent que cette polémique présente la situation sous un jour tendancieux. Jamais, disent-ils, la liberté de pensée ou d'expression de la rédaction, non plus que l'objectivité de l'information n'ont été mises en cause. La véritable raison du conflit est, selon les propriétaires, le « droit de veto inadmissible » que revendiquent certains rédacteurs. Les rédacteurs répondent que la raison du conflit est le refus de reconduire une société où ils conserveraient les mêmes droits moraux et intellectuels que par le passé. Ils veulent participer à la désignation d'un directeur « conforme à la tradition du Figaro ». Le « groupe des anciens » de 1944 a d'ailleurs l'intention d'engager une procédure judiciaire fondée sur l'autorisation de reparaître et la loi de 1947.

Le groupe d'étude des problèmes de l'information, que préside au Palais-Bourbon Robert-André Vivien, député UDR du Val-de-Marne, la commission des affaires culturelles du Sénat s'inquiètent, l'un de la situation créée par la grève, l'autre des problèmes judiciaires posés par le conflit. Robert-André Vivien presse le gouvernement d'intervenir dans l'intérêt de l'information et du public.

André Diligent, sénateur du Nord, reproche au gouvernement de n'avoir pas su introduire dans la diffusion de l'information « les réformes indispensables aux exigences du monde moderne dans une démocratie ».

Administration provisoire

Le mercredi 21 mai, enfin, une issue est en vue. Les propriétaires consentiraient à donner aux rédacteurs la « minorité de blocage » dans la société de gestion, après une période transitoire au cours de laquelle les pouvoirs du Figaro seraient assumés par un directoire (Jean Hamelin, président, Louis Gabriel-Robinet, directeur, Jean Griot, directeur adjoint).

Il ne s'agit que de mettre l'accord sous la forme d'un protocole, dont la rédaction, cependant, se révèle difficile. Puis Jean Prouvost exige que soit consenti aux propriétaires un droit de regard sur la fixation des budgets, les décisions d'engagement et de licenciement, la fixation des émoluments. C'est de nouveau la rupture.

« Je me désolidarise de M. Jean Prouvost, qui porte l'entière responsabilité des événements actuels », déclare Ferdinand Béghin. Son dissentiment avec Jean Prouvost, que divers incidents avaient manifesté déjà dans le passé, s'était accru les derniers jours dans les réunions du Conseil d'administration de la Société anonyme. La réplique ne se fait pas attendre. Jean Prouvost publie une déclaration dans laquelle il retrace à grands traits ses trente-neuf années de service comme capitaine de presse à Paris - Soir, Télé 7 Jours, Paris -Match. « On peut appeler cela le capitalisme de presse, dit-il. J'y consens. Mais c'est pour l'opposer à la presse du capitalisme, c'est-à-dire celle qui défend des intérêts parallèles. F. Béghin incarnerait volontiers la presse du capitalisme. »