Finances

Un budget sans cesse corrigé

Budget prudent et assez peu original, ambigu par certains aspects, tel est apparu le budget 1968 lors de sa présentation, en septembre 1967. Mais dès le début de 1968, il devait changer d'aspect et l'on pouvait prévoir qu'en fin d'exercice il serait sensiblement différent de sa structure initiale.

La principale innovation apportée par la loi de finances au moment de son adoption par le Parlement était la réapparition officielle, avouée, de l'impasse, c'est-à-dire d'un solde négatif entre le total des dépenses et les recettes ordinaires. Cela n'a pas surpris, puisque, d'un montant légèrement inférieur à 2 milliards de francs, elle faisait logiquement suite à un découvert de 7 milliards apparu en cours d'année dans le budget 1967.

L'exécution du budget de 1967 s'est, en effet, trouvée modifiée par l'évolution de la conjoncture économique. Pour lutter contre le ralentissement de l'expansion, le gouvernement a été amené notamment à consentir une ristourne de 100 F à tous les petits contribuables.

Le pari sur l'expansion

Pour 1968, on avait bâti un budget sur des fondements optimistes, considérant que l'activité économique serait conforme aux prévisions du Ve plan.

C'est commode de faire les comptes comme si tout devait bien se dérouler, en sachant pertinemment que l'on aura en cours de route toute liberté d'opérer les corrections nécessaires.

Cela revient, en fait, à laisser au gouvernement une liberté d'action considérable. La partie politique du budget, c'est-à-dire celle qui résulte de la volonté délibérée des pouvoirs publics, n'atteint pas 10 % du total du budget (le reste résulte d'engagements antérieurs sur lesquels il est difficile de revenir). Il apparaît alors qu'en 1967 le gouvernement a accru des deux tiers ces crédits discrétionnaires en portant l'impasse de 0 à 7 milliards de francs. C'est, sans nul doute, l'un des symptômes de cette crise du droit budgétaire que nombre d'économistes et de juristes s'accordent à dénoncer et qui s'accentue d'année en année.

Les investissements

Avec 9,35 % de dépenses supplémentaires (129 milliards de francs au lieu de 117,6) par rapport au projet de budget qu'avait présenté Michel Debré un an plus tôt, le budget 1968 augmente un peu plus vite que les budgets des cinq années précédentes (8,8 %). Cette progression signifie l'abandon de la règle posée naguère par V. Giscard d'Estaing, pour qui les dépenses de l'État ne devaient pas augmenter plus rapidement que la production.

Comme dans les budgets précédents, priorité est accordée aux dépenses d'équipement, qui progressent en 1968 de 11 % (en crédits de paiements), alors que les dépenses de fonctionnement n'augmentent que de 10 % environ. La préférence pour les investissements est toutefois légèrement moins marquée qu'en 1967, mais les prêts et avances consentis par le Fonds de développement économique et social (FDES), qui n'avaient guère augmenté en 1967, sont en progression (+ 7 %).

Mais toutes les dépenses d'équipement n'augmentent pas au même rythme. C'est ainsi qu'une priorité écrasante est donnée, en 1968, à l'équipement routier (+ 20 %), à l'aéronautique, c'est-à-dire au Concorde (+ 11 %) et aux PTT (+ 24 %), alors que les crédits affectés aux constructions scolaires ne progressent, en volume de travaux, que de 2,5 % seulement, et ceux qui sont affectés à l'équipement sanitaire et social que de 2 %. De même, le nombre des logements aidés par l'État n'augmente que de 5 %.

L'aide à l'agriculture reste fort importante : les crédits budgétaires de ce secteur progressent de 21 %, mais une partie de la charge sera supportée, finalement, par la caisse de la CEE.

Les dépenses militaires, enfin, augmentent assez peu : 6,12 %, soit encore un peu moins qu'en 1967. Elles atteignent ainsi 25 milliards de francs, dont 6 milliards affectés à la force de frappe, qui accentue sa priorité absolue sur les équipements militaires de type classique.

Aménagements fiscaux

C'est peut-être du côté des recettes que le budget 1968 revêt le plus d'originalité. Celles-ci, en effet, progresseront un peu moins vite qu'au cours de l'année antérieure et moins vite également que les dépenses, ce qui justifie, du reste, la réapparition de l'impasse. Des mesures d'allégements fiscaux sont, en effet, consenties qui limitent la progression du produit des impôts à 9 milliards au lieu de 11,5 milliards. Il s'agit, en particulier, des mesures prises parallèlement à l'extension de la TVA au commerce, aux services et à l'agriculture (baisse du taux de la TVA de 3,34 % en moyenne pour l'industrie, délais accordés aux commerçants pour le règlement des impôts sur la vente de stocks constitués avant le 1er janvier 1968, soit – 1 200 millions). Il s'agit également des suites de la déduction fiscale pour investissements décidée en 1966 (– 500 millions), de l'exonération des primes d'assurance vie (– 135 millions), des incitations fiscales aux fusions d'entreprises (– 300 millions).