Les jeunes le savent : la voiture est le meilleur outil du dragueur, surtout la voiture dite de sport, dont la silhouette nerveuse et les pétarades rappellent les mirobolantes fusées de Superman. Le bolide est aussi, pour garçons et filles, le temple vrombissant d'une religion nouvelle, découverte au xxe siècle : la vitesse, considérée comme une libération des contraintes. Religion dont les adeptes ne sont pas seulement les jeunes qui traversent les troubles de l'adolescence, mais certains adultes, qui n'ont trouvé que cette voie pour se donner l'illusion fugitive de s'équilibrer.

Tous ces avantages ne vont pas sans inconvénients. Le Français moyen s'aperçoit vite que cette indépendance conquise sur quatre roues est illusoire : sa conduite égoïste, son individualisme proverbial se heurtent à la règle de « priorité », à la menace de retrait du permis (cette capitale blessure d'orgueil), et n'ont pratiquement plus de place sur nos routes, transformées en autodromes, et dans nos rues, où la loi du groupe s'impose par des embouteillages.

Si, au lieu de rouler, il veut s'arrêter, les contraintes sont plus fortes encore : interdiction de stationner, obligation de distinguer les jours pairs des jours impairs et les limites de zone bleue, de craindre et haïr les contractuels, de payer une forte dîme aux parkings, de céder au chantage des garagistes, imposant des frais accessoires pour condescendre à vous admettre sous leur toit, etc.

Très vite, le Français moyen s'aperçoit que non seulement sa voiture lui coûte beaucoup plus cher que prévu, mais qu'elle l'ampute de la magnifique liberté qu'elle devait lui apporter.

Déjà, certains s'en sont libérés en s'en débarrassant : ils louent une voiture s'ils en ont besoin. D'autres passent des vacances à pied ou à cheval. D'autres utilisent des trains autocouchettes pour s'éviter une longue route au volant. Cependant, ces solutions ne sont pas encore passées dans les mœurs. La voiture continue à pénétrer dans les classes plus modestes.

Automobile et délinquance

Pour le seul chapitre de l'automobile, le nombre des condamnations est impressionnant. Amende ou prison, le ministère de la Justice a enregistré, en 1965, 87 520 délits sanctionnés. En tête arrive le défaut d'assurance (20 348 infractions), suivi par la conduite en état d'ivresse (17 049) et les infractions concernant la conduite (16 789). Viennent ensuite : la conduite, sans permis (13 391 condamnations), les blessures involontaires (9 359) et enfin le délit de fuite (3 089). Toujours pour 1965, les contraventions ont culminé à 1 966 082 !

La ronde des heures

Il est moins difficile de savoir comment le Français moyen dépense son argent que comment il passe son temps. Ce nouveau budget est le même pour tout (24 heures par jour), mais chacun l'utilise à sa façon.

Il est fort peu commode de savoir comment emploient leur temps un chef d'industrie de la région parisienne, une vieille fille de province, un ouvrier agricole des Basses-Alpes, un général en retraite dans le Limousin. A fortiori, il paraît presque impossible d'établir une moyenne des divers chapitres de leur budget temps.

Pour cerner le problème avec précautions, nous nous en tiendrons ici à une enquête menée, en 1966, dans plusieurs pays, sur les plus de 18 ans (et moins de 45) de 6 villes. Voici, pour la France, les éléments quotidiens du budget temps :

Constatons tout de suite que, d'un simple point de vue égoïste, sans tenir compte des compensations profondes que donne une famille, deux catégories sont privilégiées : les hommes et les célibataires.

Chaque jour, l'homme célibataire travaille une demi-heure de moins que son frère marié, s'inquiète peu du ménage, dort un peu plus et profite de plus de loisirs. Chez les femmes, la célibataire travaille un peu plus au-dehors, mais beaucoup moins chez elle, dort plus et, surtout, dispose d'une heure de loisirs en plus. Par rapport à son épouse, l'homme marié travaille une heure et demie de plus au-dehors, mais tellement moins chez lui, que, finalement, il récupère en loisirs cette heure et demie supplémentaire.