Jusqu'à présent, un seul clignotant s'est allumé ; celui du commerce extérieur, durant l'été 1967. Le déficit de nos échanges avec l'étranger a atteint une cote d'alerte, sans affecter cependant la tenue du franc sur le marché international. Les observateurs ont expliqué ce déficit par la stagnation économique chez plusieurs de nos gros clients, en particulier en Allemagne.
La défaillance du client allemand a même constitué, pendant plusieurs mois, l'explication officielle des difficultés de l'économie française. En réalité, les choses n'étaient pas aussi simples.
Pour comprendre ces difficultés, il faut se souvenir que l'activité économique a cinq moteurs principaux : ce que dépensent les particuliers pour leur consommation (c'est le moteur le plus gros), ce que dépensent les entreprises pour leur équipement, ce que dépense l'État pour ses propres besoins, ce que dépensent les particuliers pour la construction de leurs logements, et ce que dépensent les étrangers qui achètent des produits français. Depuis le début de 1966 jusqu'au milieu de 1967, tous ces moteurs n'ont pas tourné à la même vitesse.
La consommation
Le moteur de la consommation a tourné assez vite durant le premier semestre de 1966, puis s'est ralenti à partir de l'automne. L'ensemble de l'année apparaît comme une période de reprise après la stabilisation imposée par le gouvernement en 1964 et 1965. La consommation par tête, en valeur réelle — ce qui mesure l'amélioration effective du niveau de vie moyen —, a augmenté de 3,6 %, contre 3,2 % en 1965 et 2,5 % en 1964 (et 4,5 % durant chacune des trois années précédentes). Mais c'est à une vitesse modérée que la consommation a abordé l'année 1967.
On s'en est rendu compte dans un secteur sensible comme celui de l'automobile. Les ventes relativement abondantes d'un hiver ensoleillé ont été compensées au printemps par un moindre essor, pourtant traditionnel en cette saison. Le consommateur semble s'être abstenu, moins à cause d'un manque d'argent (les revenus ont continué d'augmenter, bien que modérément) qu'à cause des incertitudes de l'avenir : les élections de mars 1967 n'ont pas marqué une stabilisation du système politique, la majorité est étroite et divisée, tandis que l'opposition reste peu homogène ; les bouleversements dans les entreprises ont accru les menaces sur l'emploi ; les crises internationales, que ce soit au Viêt-nam ou au Moyen-Orient, n'ont fait que renforcer cette tendance, en attendant de connaître la portée exacte et les conséquences des rencontres Johnson-Kossyguine.
Le moteur de l'équipement des entreprises s'est notablement accéléré en 1966 pour combler le retard très important pris dans les années antérieures.
En 1965, les investissements des entreprises privées avaient même diminué. La reprise a été favorisée par des allégements fiscaux décidés par le gouvernement et par un important programme d'aide publique à la sidérurgie. Cependant, cette politique d'encouragement n'a pas porté tous les fruits que l'on attendait d'elle. En effet, les entreprises n'ont pas toujours les moyens financiers nécessaires pour se lancer dans des programmes d'équipement ; de plus, elles n'achètent pas des machines pour le plaisir, mais dans la mesure seulement où elles estiment pouvoir écouler un supplément de production ; si le consommateur est réticent, on y regarde à deux fois.
Retour à l'« impasse »
Le moteur des dépenses de l'État a été depuis le début de 1966 un des principaux soutiens de l'expansion, notamment dans le secteur de l'équipement. Michel Debré, qui a succédé à Valéry Giscard d'Estaing au début de 1966, n'a pas hésité à réintroduire une impasse budgétaire : de 3,5 milliards de francs en 1966 et de 4 à 5 milliards en 1967.
Par contre, le moteur de la construction de logements s'est trouvé sérieusement ralenti pendant toute la période. Il n'y a pas eu, en 1966, plus de logements construits qu'en 1965 (année il est vrai, où un record avait été battu) et l'on semblait devoir en construire moins en 1967, malgré des mesures prises par le gouvernement au milieu de l'année.