Doukas (les)
Dynastie byzantine qui fournit plusieurs empereurs au xie s.
La période qui suivit la mort de Basile* II (1025) fut caractérisée par un antagonisme entre le parti des grands seigneurs provinciaux, tous des militaires, et celui des fonctionnaires de la capitale : l’alternance des empereurs à cette époque ne fut que le reflet de cette lutte. Constantin IX Monomaque (1042-1055) et Michel VI (1056-1057) adoptèrent une politique hostile à l’armée : celle-ci se rebella et choisit comme tête de file le général Isaac Comnène. Sitôt couronné empereur, le 1er septembre 1057, il amorça la réaction contre le parti civil en confisquant des propriétés laïques et ecclésiastiques. Cette mesure et d’autres analogues suscitèrent la colère du peuple : après la déposition et l’exil du patriarche Michael Keroularios (1058), qui fut considéré comme un martyr, le mécontentement populaire s’exacerba et le parti civil releva la tête. Découragé, Isaac Comnène abdiqua (déc. 1059) et se retira dans un cloître.
La faction victorieuse le remplaça par Constantin X Doukas (1059-1067), l’époux d’Eudoxie Makrembolitissa, une nièce de Keroularios. La réaction militaire n’avait été qu’un intermède. Ce représentant de la noblesse civile de la capitale facilita l’entrée du sénat aux plus larges couches de la bourgeoisie ; l’affermage des impôts fut étendu ; le luxe de la Cour prit des proportions démesurées ; le corps des fonctionnaires s’accrut et sa boulimie n’eut d’égale que celle de l’Église. Pour satisfaire les besoins financiers toujours croissants, on jugea à propos de compenser l’augmentation des dépenses par des économies militaires : réduction des effectifs et dédain de l’armée. Nulle mesure ne fut plus inopportune : les Normands, sous la conduite du fougueux Robert Guiscard, se taillaient des fiefs en Italie méridionale ; les Hongrois enlevaient Belgrade en 1064 ; la même année, des hordes d’Oghouz déferlaient sur la péninsule des Balkans ; en Orient, les Turcs Seldjoukides balayaient la puissance arabe, traversaient l’Arménie, ravageaient la Cilicie et s’infiltraient en plein cœur de l’Asie Mineure (1067).
À la mort de l’empereur (mai 1067), sa femme Eudoxie fut chargée de la régence au nom de ses trois fils : Michel, Andronic et Constantin. La situation catastrophique exigeant un pouvoir militaire fort, l’impératrice veuve épousa un général cappadocien, Romain Diogène, qui fut proclamé basileus le 1er janvier 1068 (Romain IV). Le nouveau souverain tenta, d’abord avec succès, d’enrayer la progression des Seldjoukides (1068-1069), mais sa dernière campagne s’acheva par un désastre : trahie en plein combat par un membre de la famille des Doukas, son armée de mercenaires fut anéantie par les troupes d’Alp Arslān en août 1071, à Mantzikert, à l’ouest du lac de Van, et Romain Diogène lui-même tomba aux mains du vainqueur. Cette défaite, d’ailleurs contemporaine de la conquête de Bari par les Normands, eut pour conséquences à l’extérieur la rupture de l’organisation défensive de la frontière orientale et à l’intérieur la désagrégation de l’État.
Alp Arslān n’abusa pas de sa victoire : le basileus fut libéré après conclusion d’un traité assez humiliant. Mais à Constantinople le parti civil avait réagi : Romain Diogène fut déclaré ennemi public, et Michel VII Doukas (1071-1078), un rat de bibliothèque incapable d’assumer les écrasantes responsabilités du moment, prit le pouvoir, après avoir enfermé sa mère dans un cloître. Le basileus déchu, qu’on avait fait prisonnier, fut, malgré des promesses solennelles, atrocement aveuglé et exilé dans l’île de Proti, où il mourut dans d’horribles souffrances (1072).
La mort de Romain rendant caduc le traité de paix précédemment signé et Alp Arslān se déclarant le vengeur du basileus déposé, les Seldjoukides se répandirent en Asie Mineure. Des révoltes allaient faciliter leur progression : le chef des mercenaires normands, Roussel de Bailleul, faisait défection et avec ses bandes, battait l’estrade dans les provinces orientales, rançonnant Grecs et Turcs et bousculant les armées byzantines ; un aventurier arménien, Philarète Brachamios, se rendait indépendant dans le Taurus ; le duc de Paristrion marchait sur la capitale (1075), imité par Nicéphore Bryennios et Nicéphore Basilakès, proclamés empereurs par leur armée (1077) et, en Orient, par le général en chef Nicéphore Botanéiatès (1077). Cette guerre civile qui désolait toutes les provinces était accompagnée d’une grave crise économique consécutive à la mainmise de l’État sur le commerce du blé, ce qui provoqua un vif mécontentement.
Si Alexis Comnène, qui venait d’épouser une Doukas, put réprimer les séditions de Bryennios et de Basilakès, rien ne put faire obstacle à l’autre compétiteur. Ses partisans organisèrent un soulèvement dans la capitale, et Nicéphore III Botanéiatès y fut couronné le 3 avril 1078. Michel VII Doukas se réfugia dans un monastère et fut bientôt nommé archevêque d’Éphèse : sa consécration lui enlevait toute possibilité de ressaisir les rênes du pouvoir. Pour satisfaire le sentiment légitimiste des Byzantins, le nouvel élu épousa la jeune veuve de son prédécesseur, Marie d’Alanie, mais l’héritier légitime Constantin Doukas, fils de Michel VII et de Marie, fut résolument écarté du pouvoir : on lui enleva ses brodequins de pourpre et l’on cassa ses fiançailles avec la fille de Robert Guiscard. Le dernier représentant du pouvoir civil était réduit au rang d’un simple particulier. En s’abouchant pour abattre son mari avec le général Alexis Comnène (1081), l’impératrice avait caressé le rêve de rétablir la succession compromise de son fils : c’était méconnaître les ambitions du nouveau prétendant. Respectueux de ses engagements, Alexis, devenu empereur, rendit son rang à Constantin, mais la naissance d’un héritier mâle, en 1087, Jean Comnène, l’éloigna définitivement du trône. En 1095, une maladie enlevait le dernier espoir de la famille des Doukas.
P. G.
➙ Byzantin (Empire).
D. I. Polemis, The Doukai (Londres, 1968).