Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Danton (Georges Jacques) (suite)

À la Convention

Les électeurs de Paris portent le tumultueux orateur à la Convention. Optant pour la députation, il doit (21 sept.) abandonner son portefeuille de ministre. Il siège à gauche, avec la Montagne, mais désire l’union de tous les républicains face au danger extérieur et tend la main aux Girondins. Main refusée : le tribun débraillé, avide de jouissance, est en effet exécré par Mme Roland. À l’Assemblée, le 10 octobre, ses adversaires lui demandent des comptes de ses dépenses. La question est indiscrète : Danton serait bien en peine d’expliquer où passe l’argent qui lui coule entre les doigts. (Il semble probable qu’il ait payé Brunswick pour évacuer le territoire français après Valmy : si cela est exact, il ne pouvait rendre publique cette tractation.) Il se justifie d’ailleurs auprès de la Gironde : « S’il paraît surprenant qu’il ait été fait des dépenses extraordinaires, il faut se reporter aux circonstances dans lesquelles elles ont été faites : la patrie était en péril, nous étions comptables de la liberté, et nous avons rendu bon compte de cette liberté. »

En cette fin d’année 1792, la France attend la prochaine mise en jugement de Louis XVI. Danton, soucieux de sauver le monarque (peut-être a-t-il reçu de l’argent de la Cour par l’intermédiaire du feuillant Théodore de Lameth), a vainement cherché à éluder le procès. Mais, le jour du vote, il opine pour la mort, sans sursis.

Toutes ses préoccupations vont du reste aux problèmes extérieurs. Il souhaite donner la liberté aux pays opprimés par les « tyrans ». (« La nature m’a donné en partage les formes athlétiques et la physionomie âpre de la Liberté. ») Il est chargé de « révolutionner » la Belgique (il s’y rendra quatre fois de décembre 1792 à mars 1793) et prône le grand principe des frontières naturelles. Son patriotisme ardent le pousse à préconiser les mesures énergiques qui sauveront le pays et la Révolution de l’invasion : levée de 300 000 hommes, établissement du tribunal et des comités révolutionnaires, institution du Comité de salut public dont il sera le chef (mars-avr. 1793).

En avril, Dumouriez trahit la Convention et passe la frontière. Girondins et dantonistes s’accusent réciproquement des responsabilités de cette défection. Mais Danton se dresse et crie à la calomnie : ainsi, il rompt définitivement avec la Gironde. Il laisse préparer les journées du 31 mai et du 2 juin, qui verront la chute des Girondins, mais il accueillera avec peine la nouvelle de leur exécution en octobre. Entre-temps, le tribun s’attire l’hostilité, d’abord sourde, des robespierristes (Marat et Saint-Just appellent le comité Danton « Comité de la perte publique »). On lui reproche de négocier avec l’envahisseur. Il se voit, en outre, attaqué à la Convention à propos de défaites vendéennes (le général Westermann, plusieurs fois mis en déroute, est un de ses amis). Lors du renouvellement du Comité, Danton est éliminé (10 juill. 1793). Sa grande erreur est alors de quitter Paris avec sa nouvelle épouse, Louise Gély (sa première femme est morte quelques mois plus tôt) : en son absence, il sera sapé par Robespierre.

À cette date, la deuxième Terreur a été instituée. Désapprouvant totalement la politique extrémiste des hébertistes, Danton, à son retour de province, voit dans leur chef l’homme à abattre. Il veut mettre un terme aux violences (« Je demande qu’on épargne le sang des hommes » ; « mieux vaut cent fois être guillotiné que guillotineur »). Sous son influence, Camille Desmoulins fonde le Vieux Cordelier, qui fait campagne pour la clémence. Après la chute d’Hébert, en mars 1794, Robespierre se retourne contre Danton et Desmoulins : après les « ultras », il faut abattre les « citras » révolutionnaires. Pour l’aider dans cette tâche, il a appelé à Paris Saint-Just, alors aux armées.


La chute du tribun

Danton a le tort d’être lié avec de douteux personnages, en particulier avec Fabre d’Eglantine, un fripon notoire compromis dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes. L’Incorruptible est heureux, à travers Fabre, d’attaquer son grand rival. Autour de lui, d’autres réclament la tête du tribun : « Nous viderons ce gros turbot farci », s’écrie le Montagnard Vadier. Danton est averti du terrible rapport que Saint-Just prépare contre lui, mais il refuse de fuir : « On n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. » Le 30 mars 1794, il est arrêté comme ennemi de la République, ainsi que Desmoulins, Hérault de Séchelles et plusieurs autres. Seul Legendre essaie timidement, mais en vain, de le défendre à la Convention.

À son procès, Danton n’a aucune peine à démentir les accusations portées contre lui. L’éloquence de ses dénégations est telle que l’assistance, d’abord hostile, commence à se retourner en sa faveur. Sur la demande de l’accusateur public, Fouquier-Tinville, Saint-Just obtient de la Convention un décret de mise hors la loi des accusés, qui seront ainsi jugés sans être entendus, et finalement condamnés à mort. Le 5 avril, Danton monte sur l’échafaud avec treize autres condamnés.


Des jugements partagés

Parmi les chefs révolutionnaires, Danton a été l’un de ceux dont l’action et l’influence ont été le plus discutées. Ses panégyristes se sont montrés aussi passionnés que ses détracteurs.

Parmi les premiers, il faut surtout citer Alphonse Aulard, qui considérait Danton comme l’incarnation du patriotisme révolutionnaire. Le « robespierriste » Albert Mathiez soutenait la thèse opposée, s’attachant à démontrer que Danton était un opportuniste avide d’argent et corrompu. Plus tard, Georges Lefebvre, après avoir minutieusement étudié les comptes de Danton, conclut à la probabilité de la vénalité du tribun. Plus récemment, un autre historien, Gabriel Pioro, a découvert de nouveaux documents ne laissant aucun doute sur certaines « indélicatesses » de Danton (notamment quand celui-ci acheta son office d’avocat au Conseil du roi).