couleur (suite)
Une couche de pigments colorés peut être mince et transparente (aquarelle*), opaque et plus ou moins épaisse (gouache, peinture* à l’huile), épaisse et transparente (verres colorés). Un bleu à l’aquarelle produit une sensation tout à fait différente de celle du même bleu à la gouache ou à l’encre de sérigraphie. Une surface mate ou brillante modifie encore les sensations chromatiques. Une plage de couleur peut être totalement uniforme — comme dans certains panneaux publicitaires ou les tableaux des minimalistes — ou, au contraire, être « modulée », c’est-à-dire composée d’une juxtaposition de tonalités à contraste minimal qui font vibrer la couleur (Cézanne*). La couleur peut être appliquée par petites touches, par points, comme le faisait Seurat*, ou par aplats, par couches étendues uniformément : nous ne la verrons pas de la même façon. Elle peut être constituée par une couche de pigments apposés sur un support, comme dans la majorité des peintures, mais elle peut aussi s’intégrer totalement au support comme la couleur des vitraux, ou celle des plastiques employés par les artistes contemporains.
Deux couleurs qui se trouvent placées côte à côte créent un effet visuel différent si elles se trouvent séparées par un trait noir — comme dans les vitraux ou les tableaux de Mondrian* — ou par une ligne blanche, tel le réticulé qui apparaît dans les mosaïques.
Les couleurs ne sont pas des entités isolées. Les sensations visuelles que chacune provoque dépendent de toutes les autres couleurs que nous percevons simultanément. Cette faculté d’interaction des couleurs est capitale pour le peintre : un rouge brillant et clair perd une partie de sa force s’il est juxtaposé à un orangé, un jaune, un rouge plus clair. Par contre, il paraîtra plus brillant si l’on place à côté un vert ou un bleu-vert.
Les couleurs complémentaires s’exaltent mutuellement, les couleurs voisines s’atténuent. Une grande partie de la qualité particulière des œuvres de Van Gogh* dépend de ce principe.
La quantité, la qualité et la disposition des couleurs influencent directement les modalités de leur perception, de même l’intensité et la direction de la lumière éclairante, de même la durée du choc chromatique sur la rétine. L’adaptation de l’œil aux diverses impulsions reçues se traduit par une série complexe de phénomènes visuels tels que les contrastes successifs, les contrastes simultanés, la sensation d’« espace chromatique », les vibrations optiques. Certaines expériences contemporaines, notamment l’op’art, ont renouvelé l’intérêt pour ces phénomènes colorés étudiés autrefois par Goethe. Par l’usage contrôlé de superpositions et de juxtapositions, des couleurs très vives semblent se modifier sous nos yeux : deux couleurs en produisent trois, elles apparaissent et disparaissent, vibrent en donnant un caractère d’instabilité à la perception chromatique. Certaines œuvres de Vasarely*, Josef Albers (v. Bauhaus) ou Larry Poons (né en 1937) illustrent une telle utilisation de la couleur.
Les lumières colorées jouent un rôle important dans l’art contemporain. Certains artistes, comme l’Américaine Chryssa Vardea, dite Chryssa (née en 1933), emploient des tubes électriques contenant différents gaz et produisant des couleurs nouvelles, qui n’existent pas dans le spectre de la lumière blanche. Parmi les gaz et vapeurs les plus employés se trouvent le mercure (blanc), le xénon (bleu clair), l’hélium (jaune), le néon (rouge), l’argon (bleu-violet). D’autres artistes, participant aux tendances lumino-cinétiques, emploient des réflecteurs colorés et des filtres divers.
La couleur se libère davantage des formes, de la matière ; la lumière-couleur envahit l’espace.
Très longtemps, la couleur a été considérée et représentée dans les arts visuels comme une caractéristique des corps — le soleil est jaune — ou comme un signe visuel : le rouge signifie le feu. Ce contenu « signifiant » des messages visuels colorés, qui furent parmi les premiers systèmes de communication de la pensée, établit (comme n’importe quel autre type de symbolisme) un monde irréel qui empêche la perception directe de la couleur : le spectateur s’attache plus au symbolisme qu’à la couleur en elle-même. Le rouge, par exemple, n’est perçu « chaud » que si l’analogie entre rouge et feu existe au préalable. Les traditions, les modes, les conventions au sujet des couleurs sont les formes spécifiques d’un symbolisme transitoire, déterminé par les préconceptions d’une société, non par ses perceptions du fait coloré. Une vision objective de la couleur implique sa libération de connotations symboliques stéréotypées et d’implications morales telles que celle du « bon goût ».
Une partie des objets fabriqués depuis un quart de siècle, de même que la plupart des œuvres d’art contemporaines, font un usage audacieux, libre et expérimental de la couleur. Cette liberté, liée à des innovations technologiques, signifie et accompagne un développement de la liberté esthétique en art. comme de la liberté des émotions dans la vie. Une nouvelle réceptivité aux aspects objectifs de la couleur, indispensable pour une conceptualisation cohérente des études qui portent sur elle, ainsi que l’utilisation croissante de lumières colorées et de pigments inédits suggèrent une insuffisance dans la définition traditionnelle des couleurs, établie par rapport au spectre de la lumière blanche et non sans de multiples implications intellectuelles. Or, la couleur est un fait visuel. Cette certitude, proclamée par les artistes contemporains, ouvre la voie à l’objectivation de la couleur. Enrichie, avec sa personnalité propre, elle devient matière première de la vie, selon les vœux du peintre Fernand Léger*.
M. E. I.
➙ Représentation du spectre chromatique.
M. D.
M. Déribéré, la Couleur dans les activités humaines (Dunod, 1958 ; 3e éd., 1968) ; la Couleur dans la publicité et dans la vente (Dunod, 1958 ; 3e éd., 1969) ; la Couleur (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1966 ; 2e éd., 1970). / M. Pfeiffer, l’Harmonie des couleurs (Dunod, 1958 ; 3e éd., 1966). / R. L. Rousseau, les Couleurs du métabolisme de la lumière (Flammarion, 1959).