corps (image du) (suite)
Il revient à J. Laplanche et J. B. Pontalis d’avoir, à ce sujet, dégagé la valeur et l’identité conceptuelle de la notion d’« Anlehnung » dans l’œuvre freudienne. Anlehnung signifie « étayage », qui est une notion architecturale. On pense aux arcs-boutants d’une cathédrale, et c’est bien ce qui semble être l’image de la conception de Freud : étais de valeur fonctionnelle, mais dont la forme générale se trouve ensuite reprise dans le « texte » autre qu’est l’esthétique architecturale de l’édifice. Filiation, passage et cependant coupure ; poursuite et cependant reprise ; passage d’une fonctionnalité réelle à une autre fonctionnalité, symbolique. C’est en effet toute la fonction du symbole qui est là engagée.
La notion de symbole, même quand, en psychologie, elle se prétend héritière des découvertes psychanalytiques, s’est singulièrement affadie. Tout d’abord, le symbole n’est pas, dans la psychanalyse, le signe, ni le signal, ni l’indice : le symbole est le représentant actuel de quelque chose de refoulé. Mais, qui plus est, la lecture des textes freudiens montre que le symbole est directement lié au corps. Ainsi, dans les Études sur l’hystérie (1895), Freud ne laisse aucun doute sur ce point. Parlant, par exemple, de la paralysie hystérique d’Elisabeth von R., il affirme qu’on ne peut parler de paralysie fonctionnelle symbolique que parce que la série des associations vient s’inscrire sur un « déjà-là » somatique ; sans cela, il n’y aurait pour lui que « voie associative », succession d’images qui se substituent l’une à l’autre. Seul l’épinglage sur une réalité physiologique crée le symbole.
Ainsi est donc évoquée avec force, chez Freud, l’idée d’une constitution du symbole, qui serait une reprise des éléments du réel corporel dans un texte différent, le texte de la sexualité et du fantasme. Il semble bien que cela rejoigne les constatations de la clinique.
D’une part, dans les névroses, on peut voir que, si le corps y est présent, c’est à travers toute une symbolique où il est repris dans le langage, impliqué dans des condensations et des déplacements qui sont autant d’effets de sens.
D’autre part, dans la psychose, cette reprise symbolique souvent ne joue pas ; et le corps est réellement menacé et menaçant : comme si son statut présymbolique le livrait désarmé aux angoisses les plus archaïques de l’imaginaire.
Dans un statut intermédiaire, enfin, on trouve des représentants du corps qui ne sont pas des symboles mais des médiateurs : ainsi de l’objet transitionnel dont a parlé D. W. Winnicott, couverture ou taie d’oreiller dont l’enfant refuse de se séparer, que la mère respecte, qui représente tant le corps de la mère que celui de l’enfant sous une forme semi-détachable, manipulable, prémisse à une symbolisation possible. Tel aussi l’objet fétiche dans le fétichisme, objet détaché du corps, partie prise pour le tout, apte à dispenser la jouissance et représentant l’objet aimé, sans pour autant que celui-ci puisse être engagé dans un langage qui pourrait le mettre en cause et en jeu ; tel enfin, dans les thérapies de psychoses comme souvent dans les thérapies d’enfants, l’objet d’échange, cadeau, chose mise en circulation, et dont on sait, quand on le voit apparaître, toute l’importance comme médiateur présymbolique du corps.
Nous en venons donc, dans ce panorama sur la place et le statut du corps dans la vie psychique, à l’idée d’un acte de constitution : celui qui, à un certain moment, ou à certains moments, marquerait l’élaboration du moi en reprise du corps biologique ; l’architecture symbolique sur les étais biologiques ; la mise en forme libidinale sur les bases physiologiques ; la réalité psychique du fantasme sur les éléments réels et disparates d’un corps dénaturé.
Tel nous semble être l’axe essentiel d’une position actuelle du problème du corps dans la vie psychique. En choisissant cet axe, nous passons à côté de nombre de questions d’importance : la conversion hystérique ; les phénomènes psychosomatiques ; tout le problème des thérapies somatiques... pour ne citer qu’elles. Nous sommes cependant convaincu que leur problématique fondamentale se situe dans la question sur laquelle nous avons proposé de resserrer notre exposé : comment s’élabore le passage du corps biologique au corps symbolique ?
F. G.
➙ Imaginaire, symbolique et réel / Inconscient / Psychanalyse / Psychomoteur (développement).
S. Freud, « Esquisse d’une psychologie scientifique » (1895 ; dans la Naissance de la psychanalyse, lettres à W. Fliess, P. U. F., 1956) ; « Jenseits des Lustprinzips » (1920 ; trad. fr. « Au-delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Payot, 1927) ; Selbstdarstellung (Leipzig, 1925 ; trad. fr. Ma vie et la psychanalyse, Gallimard, 1930). / S. Freud et J. Breuer, Studien über Hysterie (Vienne, 1895 ; trad. fr. Études sur l’hystérie, P. U. F., 1956). / H. Head, Studies in Neurology (Londres, 1920 ; 2 vol.). / P. Schilder, The Image and Appearance of the Human Body (Londres, 1935 ; trad. fr. l’Image du corps, Gallimard, 1968). / M. Klein, Contributions to Psychoanalysis (Londres, 1947 ; trad. fr. Essais de psychanalyse, 1920-1945, Payot, 1967). / H. Hecaen et J. de Ajuriaguerra, Méconnaissances et hallucinations corporelles (Masson, 1952). / P. Federn, Ego-Psychology and the Psychoses (New York, 1953). / P. Sivadon et F. Gantheret, la Rééducation corporelle des fonctions mentales (Éd. sociales françaises, 1965). / J. Lacan, Écrits (Éd. du Seuil, 1966). / J. Laplanche et J. B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse (P. U. F., 1967).