Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chartreux (suite)

C’est par un incendie de la Grande-Chartreuse (1676) que débuta le généralat de dom Innocent Le Masson (1675-1703). Le nouveau père général décida de reconstruire l’ensemble du monastère sur un nouveau plan : c’est la Grande-Chartreuse telle qu’elle se présente aujourd’hui. L’activité de dom Le Masson fut prodigieuse : administrateur intrépide, il trouva le temps d’écrire sur toutes sortes de sujets religieux. Il eut le mérite de prévoir la crise janséniste et d’en prémunir l’ordre cartusien : si la rébellion de quelques religieux ne fut pas plus grave, c’est à dom Le Masson d’abord et à son successeur, dom Antoine de Montgeffond (1703-1731), que le doivent les Chartreux.

Sur la fin du xviie s., plusieurs princes catholiques exigèrent de leurs chartreuses qu’elles se libèrent de la tutelle de la Grande-Chartreuse ou suppriment des monastères. Au début de la Révolution française, la Grande-Chartreuse n’avait plus autorité que sur les 68 maisons de France et sur celles du Portugal, de la Savoie et du Piémont, de la Suisse et des États pontificaux, d’Allemagne et de Pologne.

Les années révolutionnaires et napoléoniennes furent un désastre pour l’ordre cartusien : plus de 100 chartreux détenus, 51 morts pour leur fidélité religieuse ; les maisons saccagées, vendues ; la Grande-Chartreuse dilapidée. Le père général, dom Nicolas de Geoffroy, réfugié à Bologne, puis à Rome, mourut en 1801. Impossible de rassembler un chapitre général, ni même les profès de Chartreuse : selon une décision des quelques prieurs réunis à Bologne en 1793, le père scribe (le secrétaire du père général) devint vicaire général. Quatre fois, il fallut faire jouer cette règle d’exception. Ce n’est que le 8 juillet 1816 qu’un petit groupe de huit ou neuf chartreux, regroupés par la fidélité tenace du vicaire dom Romuald Moissonnier, réintégrait la Grande-Chartreuse.

Dom Grégoire Sorel, âgé de 77 ans, accepta la charge de prieur de Chartreuse, et les ermites qui avaient pu rejoindre le monastère reprirent l’observance régulière. La restauration de l’ordre cartusien fut l’œuvre de dom Jean-Baptiste Mortaize. Il gouverna pendant trente-deux ans l’ordre renaissant. Au cours du xixe s., 25 maisons purent être restaurées ou récupérées, dont dix en France.

Dès le début du xxe s., une nouvelle tempête s’abattit sur les monastères de France. En 1903, Combes expulsait les religieux, qui ne voulaient pas se disperser. À la Grande-Chartreuse, le père général dom Michel Baglin (1892-1905) et ses moines ne cédèrent qu’à la force. Proscrits, les moines de la Grande-Chartreuse s’installèrent à Farneta, près de Lucques, en Toscane. Tout le temps que dura l’exil, Farneta jouit du titre et des privilèges de la Grande-Chartreuse.

En 1940, quand il apprit que l’Italie s’apprêtait à déclarer la guerre à la France, le père général dom Ferdinand Vidal (70e) entreprit des démarches pour rentrer à la Grande-Chartreuse. Le gouvernement donna de vive voix son accord ; mais le projet se heurtait à l’hostilité de certains administrateurs. Les troupes allemandes approchaient de Grenoble ; alors, le maire de Saint-Pierre-de-Chartreuse et conseiller général de Saint-Laurent-du-Pont réquisitionna la Grande-Chartreuse « pour des rapatriés d’Italie ». Trente-sept ans après l’expulsion, le désert reprenait vie.

Implantation de l’ordre des Chartreux (1970)

En France, il y a quatre monastères d’hommes : la Grande-Chartreuse (Saint-Pierre-de-Chartreuse, Isère), Montrieux (Méounes, Var), Sélignac (Simandre, Ain), Mougères (Caux, Hérault), et deux de moniales : Beauregard (Voiron, Isère) et Nonenque (Marnhagues-et-Latour, Aveyron).

En Italie, outre la Procure générale à Rome, il y a trois monastères d’hommes : Serra San Bruno (prov. de Catanzaro, Calabre), Farneta (prov. de Lucques), Vedana (prov. de Belluno), et deux de moniales : Motta Grossa (Pinerolo, prov. de Turin) et San Francesco (Giaveno, prov. de Turin).

En Espagne, il y a cinq monastères d’hommes : Montalegre (prov. de Barcelone), Miraflores (prov. de Burgos), Aula Dei (prov. de Saragosse), Porta Cœli (prov. de Valence), Jerez (prov. de Cadix), et un de moniales, à Puebla de Benifasar (prov. de Castellón).

Il y a un monastère d’hommes : en Suisse, Valsainte (canton de Fribourg) ; en Yougoslavie, Pleterje (Šentjernej, Slovénie) ; en Allemagne, Marienau (Seibranz, Bade-Wurtemberg) ; en Angleterre, Saint Hugh’s Priory (Parkminster, Sussex) ; au Portugal, Scala Cœli (Évora) ; aux États-Unis, Transfiguration’s Charterhouse (Whitingham, Vermont).


La règle cartusienne

Il est difficile de parler de « règle » au sens strict du mot. Saint Bruno n’a pas écrit de règle, pour la bonne raison qu’il n’avait pas l’intention de fonder un ordre religieux. Ce sont les Coutumes de Guigues Ier qui ont servi de base à l’union.

Il est évident que les Coutumes de Guigues ne pouvaient répondre à tous les problèmes qui se poseraient à l’ordre au cours des siècles. Aussi, selon les nécessités des temps, les chapitres généraux ont-ils émis des ordonnances. Dès 1259, le père général dom Riffier (15e) compilait, sous le nom de Status, les ordonnances qui présentaient un intérêt général et permanent. Par quatre fois, la Collection des « Statuts » fut remise à jour.

En fait, la véritable règle des Chartreux, c’est l’expérience spirituelle de Bruno telle qu’elle nous est révélée dans ses deux lettres à Raoul le Verd et aux frères de Chartreuse et à travers les « coutumes » des deux ermitages qu’il fonda.


La spiritualité cartusienne

Comme le mot règle, le mot spiritualité sonne mal quand il s’agit des Chartreux. Du moins si l’on entend par « spiritualité » une sorte de méthode uniforme qui serait proposée à tous les chartreux comme la seule capable de les conduire à l’union à Dieu. C’est à chacun, en chartreuse, de trouver sa voie et de la suivre, sous la direction des supérieurs.

Mais, s’il n’y a pas de spiritualité cartusienne à proprement parler, il existe un esprit cartusien qui s’incarne dans un style de vie caractérisé.