Ordre religieux fondé au xie s. par saint Bruno.
Vie de saint Bruno
Bruno naît à Cologne vers 1030. Il vient de bonne heure à Reims, où il est élève, puis maître à la célèbre « école cathédrale ». Après ses études, il est promu chanoine de la cathédrale de Reims. En 1056 ou 1057, il est nommé « écolâtre » de Reims et, en cette qualité, dirige l’enseignement de l’université ; il demeurera en charge pendant vingt ans. Plusieurs de ses disciples accéderont aux plus hautes dignités de l’Église : Eudes de Châtillon deviendra pape sous le nom d’Urbain II.
En juillet 1067, l’archevêque Gervais meurt. Manassès de Gournay obtient, par simonie, le siège de Reims. L’homme est avide et cynique. Il tente d’abord de se concilier Bruno et l’université en nommant l’« écolâtre » chancelier de son église (1075). Mais bientôt la conduite de Manassès se révèle telle qu’un petit groupe de chanoines, dont Bruno, le dénoncent au légat du pape. En représailles, l’archevêque les spolie de leurs biens et de leurs offices : ils doivent se réfugier chez le comte Ebal de Roucy (1076).
Le 27 décembre 1080, Grégoire VII dépose enfin Manassès. L’archevêque est chassé de la ville par le peuple. Bruno et les exilés peuvent rentrer à Reims, et la vox populi désigne déjà Bruno pour succéder à Manassès. Mais Bruno a, depuis quelque temps, entendu un autre appel : renonçant au monde, il part bientôt en quête d’une solitude où il pourra mener la vie contemplative dans toute sa pureté.
Après un bref séjour à Sèche-Fontaine (diocèse de Langres), il descend vers les Alpes. Chemin faisant, il s’adjoint six compagnons. Les sept pèlerins arrivent à Grenoble vers le début de juin 1084. Hugues (1053-1132), le jeune et saint évêque, les accueille avec faveur. Aux alentours de la Saint-Jean-Baptiste (24 juin), il les conduit lui-même au désert de Chartreuse. C’est là que Bruno réalisera son projet. Un projet qui s’inscrit dans la nature même du lieu : c’est la solitude, poussée à l’extrême limite des forces humaines. L’ermitage selon Bruno se dessine : un petit groupe d’ermites dont la solitude rigoureuse s’équilibre d’éléments de vie communautaire et est protégée par quelques convers, ermites eux aussi, mais adonnés aux nécessités matérielles du groupe.
Ce bonheur dure six ans. Aux premiers mois de 1090, le pape Urbain II, aux prises avec une situation fort périlleuse de l’Église, requiert la présence et les conseils de son ancien maître de Reims. Bruno obéit. Il gagne Rome vers la fin de mars. En juin, Urbain II doit s’exiler de nouveau en Sicile, au royaume des princes normands. Au milieu de la cour pontificale, Bruno garde la nostalgie du désert. Il refuse d’abord l’évêché de Reggio di Calabria, que lui offre le pape. Puis il obtient de recommencer, sur place, l’expérience de Chartreuse. En automne de 1090, il fonde un nouvel ermitage à La Torre, près de Serra (auj. Serra San Bruno), en Calabre. Entre Bruno et ses fils de Chartreuse, les relations, par lettres et messages, n’ont pas cessé.
Bruno meurt le 6 octobre 1101. Le 19 juillet 1514, il sera canonisé par le pape Léon X.
Brève histoire de l’ordre
Jusqu’aux environs de 1115, seuls existèrent les ermitages de Chartreuse et de Calabre. C’est alors que se créa l’ermitage de Portes, dans le diocèse de Belley : sept autres fondations suivirent bientôt. Or, il n’y avait ni règle ni ordre cartusiens. À la demande de plusieurs prieurs et sous la pression d’Hugues de Grenoble, Guigues Ier (prieur de Chartreuse de 1109 à 1136) rédigea ce qu’il appela les Coutumes de Chartreuse. Les Coutumes furent achevées en 1127 et aussitôt adoptées par l’ensemble des ermitages. Aujourd’hui encore, elles constituent l’essentiel de la règle cartusienne.
C’est sous le priorat de Guigues qu’eut lieu la terrible avalanche du 30 janvier 1132 : toutes les cellules de l’ermitage de Chartreuse, sauf une, furent détruites ; sept religieux sur douze ou treize périrent. On rebâtit, non pas à l’emplacement primitif, décidément trop exposé aux avalanches, mais 1 800 mètres plus bas.
En 1140, sous le priorat de saint Anthelme (1139-1151), se tint, à la demande des prieurs, le premier chapitre général. Deux décisions importantes y furent prises : les diverses communautés cartusiennes seraient gouvernées désormais par le chapitre général, et une prééminence d’autorité serait conférée au prieur de Chartreuse sur les autres prieurs. Un nouveau pas vers l’unité allait être franchi sous le généralat de dom Basile : en 1155, il fut décidé que le chapitre se tiendrait chaque année. L’ordre cartusien était dès lors organiquement constitué.
Pendant deux siècles, l’ordre cartusien vécut dans une grande paix. Entre 1155 et 1200, trente-sept monastères furent fondés, dont deux de moniales. En 1371, sous le généralat de Guillaume II de Raynald, l’ordre répartissait ses 150 maisons par toute l’Europe. C’est alors qu’éclata le grand schisme d’Occident. Comme l’Église, l’ordre cartusien se trouva coupé en deux. Mais, dès l’élection d’Alexandre V (1409), les Chartreux reconstituèrent leur unité.
À la veille des guerres de Religion, l’ordre comptait 195 chartreuses. Mais, au cours des troubles qui agitèrent le xvie s., 39 maisons furent supprimées, et plus de cinquante chartreux donnèrent leur vie pour la foi.