Zola (Émile) (suite)
Le 31 janvier de l’année suivante, Zola quitte la Librairie Hachette. Il ne vivra plus désormais que de sa plume. Il entre, comme courriériste littéraire (les Livres d’aujourd’hui et de demain), à l’Événement, journal fondé le 1er novembre 1865 par le directeur du Figaro, Hippolyte de Villemessant ; il y reste jusqu’au 15 novembre, date de la suppression du journal. Dans l’Événement, il publie également en avril-mai 1866 un Salon, qui fait scandale par son éloge vibrant de Manet. Il séjourne à Bennecourt, au bord de la Seine, près de Mantes, avec Cézanne, qui y peint plusieurs toiles. Il continue à s’enthousiasmer pour Balzac. Il collabore au Salut public de Lyon, au Grand Journal et au Figaro, où il publie notamment des chroniques en forme de nouvelles. En juin paraissent Mes haines et Mon salon ; en novembre, c’est un roman feuilleton écrit pour l’Événement, dans le genre touchant, le Vœu d’une morte, et, en décembre, une étude sur l’esthétique du roman, Deux Définitions du roman (Annales du Congrès scientifique de France).
Le 1er janvier 1867 paraît une étude sur Édouard Manet dans la Revue du XIXe siècle, dirigée par Arsène Houssaye ; Zola la publiera en brochure en juin. Il collabore irrégulièrement au Figaro. Sans emploi fixe dans la presse, il vit de nouveau dans la gêne. Mais son réseau d’amis s’est accru : les peintres Antoine Guillemet, Manet, Pissarro, l’écrivain Duranty. Il écrit, à deux sous la ligne, pour répondre aux besoins quotidiens, un roman qui paraît dans le Messager de Provence, journal d’Aix, puis en librairie, les Mystères de Marseille (1867-68), inspirés d’un fait divers authentique dont le directeur du Messager lui a fourni les éléments. « Il me fallait gagner ma vie, puisque je n’étais pas né à la littérature avec des rentes. » Des Mystères de Marseille, Zola et Marius Roux tirent un drame qui est joué à Marseille en octobre et dont le texte s’est perdu. En décembre paraît Thérèse Raquin : « Étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. » Louis Ulbach, dans le Figaro, qualifie ce roman de « littérature putride », ce qui amène Zola à définir la méthode du roman naturaliste et à en défendre la moralité dans sa Préface à la seconde édition (avr. 1868).
Zola lit la Physiologie des passions, du docteur Letourneau, qui lui servira à bâtir le projet des Rougon-Macquart. Il écrit des chroniques sur les faits divers, l’actualité politique et littéraire, le Salon de peinture pour l’Événement illustré. Il collabore également au Globe et à la Tribune, hebdomadaire d’opposition qui s’est fondé en juin 1868, après promulgation de la loi libéralisant le régime de la presse. Il rassemble ses premières notes pour l’Histoire d’une famille en dix volumes, noue des relations amicales avec les Goncourt (nov.) et publie en décembre Madeleine Férat, second roman physiologique sur le thème de l’« imprégnation », qu’il a trouvé chez Michelet (l’Amour, la Femme) et chez le docteur Lucas (Traité de l’hérédité naturelle).
1869-1871
Zola reçoit Paul Alexis, arrivé d’Aix et qui deviendra un de ses amis les plus proches. Il collabore au Gaulois (reprise des Livres d’aujourd’hui et de demain), au Rappel et à la Tribune, s’affirmant ainsi de plus en plus comme un journaliste d’opposition. Le projet des Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, est accepté par l’éditeur Albert Lacroix. Zola voudrait en faire pour la société du second Empire ce qu’a été la Comédie humaine, de Balzac, pour celle de la Restauration. Il prépare la Fortune des Rougon. En 1870, il publie de violents articles de satire politique dans le Rappel et la Cloche, en les mêlant de quelques chroniques littéraires (sur Balzac, Jules de Goncourt). La Fortune des Rougon paraît dans le Siècle et est interrompue par la guerre. Zola a commencé à écrire la Curée. Le 7 septembre, il part pour Marseille avec sa femme et sa mère afin d’échapper au siège de Paris. Il fonde avec Marius Roux un quotidien, la Marseillaise, qui ne vit que quelques semaines. Il cherche en vain à se faire nommer sous-préfet par la délégation générale du gouvernement de Défense nationale, qu’il va rejoindre à Bordeaux le 11 décembre ; mais, le 21 décembre, il est nommé secrétaire d’un membre de la délégation, Glais-Bizoin. Après l’élection (8 févr. 1871) de l’Assemblée nationale, qui siège à Bordeaux, il devient chroniqueur parlementaire de la Cloche. Il rentre à Paris le 14 mars 1871, tandis que l’Assemblée va siéger à Versailles. Pendant la Commune, il est partagé entre sa sympathie pour le peuple de Paris et le soutien qu’il pense devoir apporter à Thiers, devenu président de la République, en qui il voit le seul homme politique capable d’imposer la république à une majorité parlementaire monarchiste. Cependant, craignant d’être arrêté comme otage, il va passer la fin du mois de mai à Bennecourt. Il envoie des chroniques au Sémaphore de Marseille en même temps qu’à la Cloche : c’est là qu’on peut trouver son reportage de l’atroce répression qui suivit la défaite de la Commune et, plus tard, le reflet de la vie politique, de la vie parisienne et des arts. En octobre paraît la Fortune des Rougon, qui raconte la résistance des républicains du Var au coup d’État du 2 décembre 1851 et les débuts, à la faveur du coup de force bonapartiste, de l’ascension politique et sociale des Rougon, bourgeois de Plassans (qui n’est autre qu’Aix-en-Provence). En novembre, le parquet de la Seine interrompt la publication de la Curée en feuilleton dans la Cloche : le volume paraît en janvier 1872. Zola y dépeint les amours adultères de Renée Saccard et de son beau-fils Maxime, tandis qu’Aristide Saccard (pseudonyme de Rougon) s’enrichit en spéculant sur les transformations de Paris : curée de la chair et curée de l’or.