Wilson (Thomas Woodrow) (suite)
Sur la conduite de la politique étrangère, Wilson a en 1913 des idées beaucoup moins précises : il lui arrive même de penser qu’elle n’entrera guère dans ses préoccupations. Rapidement, pourtant, il constate que son pays ne saurait vivre replié sur lui-même, maintenant qu’il occupe le premier rang des grandes puissances économiques. De l’Extrême-Orient à l’Europe en passant par l’Amérique latine, n’y a-t-il pas des principes à définir, un intérêt général à défendre et une croisade à entreprendre ? Wilson s’en persuade aisément. Les États-Unis, juge-t-il, offrent au monde un exemple : leur démocratie est presque idéale ; leur organisation économique et sociale peut être améliorée, mais dans l’ensemble constitue une splendide réussite et assure la paix. Wilson n’est pas un doux rêveur, qui inlassablement poursuivrait des chimères. Il n’est pas davantage un Machiavel d’outre-Atlantique, préoccupé de dissimuler ses véritables intentions dans des discours hypocrites. Il croit ce qu’il dit et fait ce qu’il croit. Pour lui, l’Amérique remplit une mission : transformer le monde à son image. L’américanisation de la planète, voilà ce qu’il cherche à réaliser, d’une manière plus ou moins confuse jusqu’à 1917, beaucoup plus nettement au cours de son deuxième mandat. C’est ce qui explique les contradictions apparentes et les difficultés de sa politique extérieure.
Aidé par son secrétaire d’État, William Jennings Bryan — qui démissionne en juin 1915 —, le président Wilson propose à trente nations un traité bilatéral de conciliation ; il annule les tarifs préférentiels que son pays s’était fait accorder dans l’administration du canal de Panamá ; il conseille, enfin, aux banquiers américains de quitter le consortium international en Chine et reconnaît le régime républicain de Sun Yat-Sen. Les États-Unis doivent être une puissance juste et honnête ; il faut aussi qu’ils défendent leurs intérêts.
Dans le même temps, en effet, Wilson intervient en Amérique latine pour protéger la route du canal transocéanique : en 1915, les marines débarquent à Haïti ; l’année suivante, ils sont envoyés à Saint-Domingue. Tout compte fait, Wilson a ordonné plus d’interventions militaires que Theodore Roosevelt. Les ingérences américaines dans les affaires du Mexique, une véritable diplomatie « missionnaire » a-t-on écrit, aboutissent à l’expédition punitive de 1916 et à des résultats limités pour Washington.
La même ambiguïté se manifeste à l’égard de l’Europe. De 1914 à 1917, les États-Unis restent neutres « en actes et en pensées », si l’on en croit leur président. Mais les sympathies des dirigeants américains vont à l’Entente ; le courant commercial tout autant que les prêts financiers favorisent l’Angleterre et la France. Wilson n’en poursuit pas moins son but : réconcilier les adversaires, imposer une médiation qui grandira l’influence internationale de son pays. Les belligérants font la sourde oreille. Lorsque les sous-marins allemands obligent Wilson à entrer dans le conflit, il n’a rien fait pour préparer les États-Unis à la guerre. D’Amérique arrivent des dollars, des matières premières et des vivres dans la mesure où le tonnage est disponible ; il faudra plus d’un an, et c’est un miracle de rapidité, pour que les soldats américains commencent à jouer un rôle dans les tranchées.
Réélu sur un programme de paix, Wilson a été contraint de mener son pays dans une guerre totale. Il ne manque pas de distinguer soigneusement les buts de guerre américains des objectifs européens : il est un associé, et non l’allié des Alliés, et le fait savoir par son discours des « Quatorze Points » (8 janv. 1918).
Quand il vient en Europe pour négocier en personne les termes du traité de paix, il est pour les foules un héros, un sauveur, l’homme d’État qui empêchera le bouleversement que promettent les Bolcheviks et le retour à l’ancien ordre des choses ; la Société des Nations, dont il ne cesse de parler depuis 1916, assurera la sécurité collective. Pourtant, au terme d’une négociation longue et difficile, le traité de Versailles ne satisfait pleinement ni les Alliés ni les Américains : ceux-là se résignent, ceux-ci n’en veulent pas. Pour convaincre ses compatriotes, Wilson entreprend en septembre 1919 une vaste campagne d’opinion : frappé d’hémiplégie, il doit cesser le combat. Sa maladie, son obstination croissante, un entourage trop prévenant l’empêchent de faire les concessions nécessaires, et le Sénat lui inflige un terrible désaveu. C’est un homme physiquement et moralement épuisé qui cède le pouvoir en 1921 aux républicains, et plus particulièrement au président Warren Harding.
Partisan d’un conservatisme libéral, défenseur de principes nouveaux qui devraient assurer le développement des intérêts américains, qu’il confond trop avec les intérêts du monde, Woodrow Wilson a manqué de souplesse. Est-il encore pour nous le grand président qu’il parut être à ses contemporains ?
A. K.
➙ Démocrate (parti) / États-Unis / Guerre mondiale (Première).
A. Hatch, Woodrow Wilson (New York, 1947). / A. S. Linck, W. Wilson and the Progressive Era (New York, 1954). / A. Steinberg, Woodrow Wilson (New York, 1961). / C. O. Peare, The Woodrow Wilson Story, an Idealist in Politics (New York, 1963 ; trad. fr. Pour une paix juste, la vie du président Wilson, Seghers, 1964). / S. Freud et W. C. Bullitt, Thomas Woodrow Wilson, a Psychological Portrait (Boston, 1967 ; trad. fr. le Président Thomas Woodrow Wilson, portrait psychologique, A. Michel, 1967, nouv. éd., U. G. E., 1974).