Nelson Mandela
Avocat et homme d'État sud-africain (Mvezo, district d'Umtata, 1918-Johannesburg 2013).
Figure emblématique de la lutte contre l'apartheid, Nelson Mandela aura connu le harcèlement policier, la clandestinité et le bagne : chef historique de l'African National Congress (ANC), il passa plus de vingt-sept ans en prison avant de pouvoir faire entendre la voix des Noirs en Afrique du Sud. L’un des principaux artisans du processus de démocratisation en Afrique du Sud, il reçut le prix Nobel de la paix ; élu président de la République, il mena sur une voie plus juste son pays multiracial et réconcilié.
Famille
Fils d'un chef de tribu du Transkei, orphelin de père à 10 ans ; on l'élève pour devenir conseiller du prince, comme son père.
Formation
Il dit n'avoir guère brillé à l'école et avoir dû sa réussite scolaire à ses qualités de persévérance et de ténacité. Il entame des études universitaires, en particulier de droit, qu’il sera amené à interrompre et qu’il reprendra par correspondance pendant ses années de prison.
Le combattant anti-apartheid
Entré à l’ANC en 1944, il s’engage dans une résistance non-violente pour les droits des Noirs en Afrique du Sud. Avec Oliver Tambo (1917-1993), il ouvre en 1952 le premier cabinet d'avocats noirs du pays. Il participe en 1955 à l'élaboration de la Charte de la liberté, véritable plaidoyer pour l'égalité entre tous les Sud-Africains.
Devant la répression sanglante des protestations pacifiques, il organise le recours à la violence. En 1961, la branche armée de l’ANC qu’il a créée commet ses premiers sabotages. Il devient sans doute l’homme le plus recherché d’Afrique du Sud.
En prison
Il est condamné en 1964 à la réclusion à perpétuité avec travaux forcés, sur l’île de Robben Island. Sa santé est ébranlée mais il montre une résistance morale et un sens politique sans faille. L’ANC en fait une icône de la lutte contre l’apartheid.
Artisan de la fin de l’apartheid
Sollicité par les dirigeants afrikaners, eux-mêmes soumis à la pression internationale, il accepte sa libération (1990) contre l’entrée dans une phase de transition démocratique. Il reçoit avec F.W. De Klerk le prix Nobel de la paix en 1993 et devient, à l’issue des élections de 1994. le premier président noir de la République d’Afrique du Sud.
Citations
« il a montré un degré de courage et de sacrifice exceptionnel. Je n'ai quant à moi lutté que contre l'injustice, et non contre mon propre peuple. »
(Mandela rendant hommage à l'avocat blanc anti-apartheid Bram Fischer, 1995).
« J'ai attendu plus de 70 ans avant de pouvoir voter. »
(id.)
1. La prise de conscience
1.1. Jeunesse et années de formation (1918-1941)
Le jeune Mandela avait pour prénom Rolihlahla, qui, en Xhosa, au figuré, signifie « fauteur de troubles ». C'est à l'école qu'il reçoit le prénom de Nelson, britannique, comme l'éducation qui y est dispensée en anglais par les missionnaires protestants. Appartenant au clan Madiba des Thembu, on l'élève pour devenir conseiller du prince, comme son père. Il est le témoin attentif de la procédure coutumière de délibération chez les Thembu, où tous, grands et humbles, peuvent s'exprimer jusqu'à ce que soit atteint le consensus, ce qui lui paraît bien plus démocratique que l'oppression d'une minorité par la majorité. À 20 ans, il entre à l'université de Fort Hare, réservée aux Noirs. Il y étudie l'anglais et l'histoire des civilisations occidentales.
1.2. L’engagement (1941-1947)
En 1941, à Fort Hare, il participe avec Oliver Tambo (1917-1993) à une grève et refuse de réintégrer l’université après quelques jours d’exclusion. Il quitte alors la région du Transkei pour échapper à un mariage arrangé et gagne Johannesburg, où il vit d’expédients tout en poursuivant ses études par correspondance.
En 1943, il entame une licence en droit, à la prestigieuse université du Witwatersrand, où il côtoie pour la première fois des étudiants blancs.
Un de ses amis, Walter Sisulu (1912-2003), lui fait connaître l'African National Congress (ANC), organisation alors élitiste et strictement légaliste. Il y adhère en 1944 et participe avec W. Sisulu et O. Tambo à la réflexion politique au sein de l’exécutif, qui aboutit à la création de la Ligue de la jeunesse, destinée à réformer et revivifier l'ANC en la rapprochant des masses populaires.
Il épouse en 1944 Evelyn Mase ; ils auront quatre enfants. Il travaille comme jeune clerc en apprentissage dans le cabinet d’avocats blancs de Lazar Sidelsky (1911-2002), à Johannesburg.
1.3. Au pays de l’apartheid
Outil de gouvernement d’un Etat néerlandophone qui s’est constitué contre la tutelle britannique, l'apartheid organise la vie dans des territoires séparés ou bien la cohabitation tolérée avec statuts inférieurs pour les non-Blancs. Après les métis et les Indiens, tout au bas de l’échelle politique et sociale dominée par l’Afrikaner, se place le Noir, éternel mineur qui évolue dans une trajectoire parallèle : né dans une maternité réservée aux Noirs, élevé dans une école réservée aux Noirs, se déplaçant dans des autobus et des trains réservés aux Noirs. Le statut inférieur des Noirs est palpable jusque derrière les barreaux, où même le régime alimentaire est inférieur.
Pour en savoir plus, voir l'article apartheid.
Avocat avec pignon sur rue, puisqu’il a pu ouvrir son propre cabinet avec Oliver Tambo en 1952, Mandela a conscience d'être une exception et de faire partie de l'élite noire tolérée par les Blancs. Mais lui aussi est « conditionné » : il raconte dans ses mémoires comment il s’était surpris, en montant dans un avion, à douter du savoir-faire du pilote… noir.
Mandela mène de front son cabinet d'avocats, sa vie de famille et de militant de l'ANC, ce qui veut dire se déplacer la nuit de réunion en réunion, mais aussi vivre avec la culpabilité de ne pas voir sa mère vieillir, ses enfants grandir, sa femme tenir le coup. Militer contre le racisme au pays de l’apartheid, c’est savoir mettre à profit toute circonstance, comme lorsque les dirigeants de l'ANC, souvent dans l’impossibilité de se voir puisqu’ils sont assignés à résidence, tiennent une réunion au sommet... en prison, dans la salle commune où ils ont été entassés.
2. Avec l'ANC contre l’apartheid
2.1. La lutte pacifique (1947-1961)
Mandela devient secrétaire, puis président de la Ligue de la jeunesse en 1950, sur fond de durcissement de l’apartheid. Dès 1952, au sein de l'exécutif d’un ANC inspiré par Gandhi et dirigé par Albert Luthuli (futur prix Nobel de la paix en 1960), il participe à l'organisation de la Defiance Campaign, qui exploite un éventail de formes de désobéissance civile :
– les manifestations et boycotts,
– la recherche collective de l'incarcération par l'infraction délibérée aux lois de l'apartheid,
– le stay-at-home, forme de grève selon laquelle on ne se présente pas au travail et on reste chez soi.
En 1956, il est arrêté pour avoir participé à l'élaboration de la Charte de la liberté, véritable plaidoyer pour l'égalité civile. Il fait face aux accusations de haute trahison (Treason Trial) durant plus de quatre ans de procès, avant d'être finalement acquitté. En 1960, le massacre de Sharpeville (21 mars), répression sanglante d'une manifestation pacifique, le convainc d'intensifier la lutte.
2.2. La lutte armée (1961-1962)
Constatant l'échec de la résistance non-violente et l'impasse où est réduite l'ANC qui a été déclarée organisation illégale dans un pays placé en état d’urgence (mars 1960), il plaide le recours à la lutte armée, dont le sabotage constitue la première étape, et passe dans la clandestinité pour organiser le bras armé de l'ANC, Umkhonto we Sizwe, littéralement « Lance de la nation » (abrégé en MK). Mandela change régulièrement de points de chute et de couverture, puis se fait passer pour un simple cuisinier-jardinier dans la ferme achetée par MK à Liliesleaf, à Rivonia, dans la banlieue de Johannesburg.
Les premiers attentats sont perpétrés à Durban, Port Elizabeth et Johannesburg à la fin de l'année 1961. Ils visent surtout des centrales électriques et des centres de délivrance des laissez-passer ; ils sont assez artisanaux et font peu de dégâts.
Il se rend à Londres et, avec O. Tambo, le représentant de l’ANC à l’étranger, sillonne l’Afrique à la recherche d’appuis politiques, logistiques et financiers. Mais à nouveau arrêté à son retour et accusé d'avoir illégalement quitté le pays tout en incitant à la grève, il est condamné à cinq ans de prison.
Le commandement de MK est décapité par l’arrestation à Liliesleaf, le 12 juillet 1963, de plusieurs dirigeants – dont Walter Sisulu – pris sur le fait, alors qu’ils étudiaient un plan d’action pour le passage à la guérilla (Opération Mayibuye).
2.3. Procès et prison (1963-1990)
Les documents et explosifs saisis permettent d’inculper le prisonnier Mandela et huit de ses nouveaux co-accusés : ils risquent la peine de mort mais sont finalement condamnés, au terme de huit mois d’un procès retentissant, le 12 juin 1964, à la réclusion à perpétuité avec travaux forcés. Les condamnés noirs purgent leur peine à Robben Island, sorte de château d’If au large de la ville du Cap ; l’unique condamné blanc est envoyé dans la prison de Pretoria Central. L’un des avocats afrikaners, Bram Fischer (1908-1975), qui avait déjà défendu Mandela lors du Treason Trial et a dû lui-même passer dans la clandestinité, est à son tour condamné à la prison à vie. Mandela changera de prison à deux reprises : tout d’abord Pollsmoor dans la ville du Cap, puis Victor Verster près de Paarl, dans la province du Cap-Ouest.
À mesure que s’étaient succédé les assignations à résidence, Mandela refusait déjà de se cantonner au territoire imparti par un pouvoir raciste qu’il récusait. Lors de ses procès, il est en mesure s’il le faut d’assurer sa propre défense, voire de faire de la salle d’audience une tribune politique. Une fois entre quatre murs, il s’emploie à maintenir une forme de lutte. Il se fait le porte-parole des prisonniers auprès de la direction de la prison, les défend sous le manteau dans leurs procès en appel, poursuit ses études de droit par correspondance et commence la rédaction de ses mémoires, discute avec les jeunes gens emprisonnés après les émeutes de Soweto (juin 1976) ou encore lutte contre les bantoustans en conseillant un chef tribal. Il s’efforce de ne pas cantonner son esprit aux quelques mètres carrés de sa cellule.
À partir de 1980, l'ANC le met en avant dans ses campagnes internationales de mobilisation de l'opinion. La résistance morale et physique du matricule 466/64 – ayant contracté la tuberculose en prison, il est hospitalisé à deux reprises – contribue à la naissance du mythe. Ses conditions de détention s’améliorent, puisqu’on l’installe dans une villa du périmètre de la prison.
3. Vers une nation arc-en-ciel ?
3.1. Pourparlers avec l'ennemi
Au milieu des années 1980, alors que monte la pression internationale, morale et économique, contre un pays qui n’est plus vu comme un rempart contre le communisme, le gouvernement de P. W. Botha infléchit sa politique. Le ministre de la Justice Kobie Coetsee (1931-2000) vient sonder Mandela officieusement. On lui propose sa libération contre un rejet public de la violence. Mandela décline l’offre et le fait savoir publiquement par la voix d’une de ses filles lors d’un rassemblement : il argue que la violence institutionnelle appelle la violence et refuse la liberté d'un seul contre l'oppression de tous.
Des pourparlers sont néanmoins entamés secrètement, y compris dans un premier temps à l’insu de l’ANC, pour la mise en place d'un régime où la population blanche deviendrait minoritaire. Le nouveau président F. W. De Klerk prend conscience de l'inévitable et entame le démantèlement de l'apartheid. La libération de plusieurs dirigeants de l'ANC est annoncée le 10 octobre 1989. Nelson Mandela sort de prison devant les caméras du monde entier le 11 février 1990.
3.2. Prix Nobel et chef de l’État
L'ANC est légalisé et suspend la lutte armée. Au cours de ses nombreux voyages à l'étranger, Mandela insiste sur la nécessité de maintenir les sanctions économiques contre l'Afrique du Sud.
Vice-président, puis président de l'ANC (juillet 1991), il est, avec le président de la République F. W. De Klerk, le principal artisan de la Constitution intérimaire qui scelle la fin de l'apartheid – ce qui vaut aux deux hommes le prix Nobel de la paix en 1993.
L'année suivante, le 27 avril 1994, à l'issue des premières élections multiraciales, qui sont remportées par l'ANC, Mandela devient chef de l'État sud-africain. Il place les vice-présidents F.W. De Klerk et Thabo Mbeki à la tête d’ un gouvernement d’union nationale, où quelques portefeuilles sont accordés à des membres de l’ancienne élite politique. Jouant habilement de sa stature internationale, il parvient à contenir l'extrémisme de l'Inkatha et à éviter l'embrasement du pays durant la phase de transition démocratique. Il s'emploie également à restaurer l’image internationale d’une Afrique du Sud naguère infréquentable (exclue du Commonwealth dès 1961), qui a affronté ses problèmes politiques et moraux et peut consacrer ses forces vives à ses grandes difficultés économiques.
3.3. Homme privé, homme public
Mandela n’aura pas été épargné durant toutes ces années, dans sa chair (mort de certains proches et obsèques auxquelles il lui est interdit d’assister) et dans son honneur : ainsi, pendant qu’il était engagé dans le processus de transition démocratique aux côtés de F. W. De Klerk, sa deuxième femme Winnie Madikizela Mandela a déchaîné la controverse nationale et embarrassé l’ANC.
Durant l’emprisonnement de son mari, Winnie avait, elle aussi connu le harcèlement policier, la mise sur écoute, la prison ou l’assignation à résidence dans une province lointaine. Épouse d’un prisonnier d’opinion devenu célèbre et elle-même très engagée dans l’ANC en particulier dans la Ligue des femmes, son aura était grande auprès des jeunes et l’acharnement policier dont elle faisait l’objet avait été largement relayé par l’ANC. Mais l’icône s’était ternie à partir de 1987, avec les agissements des membres du Mandela United Football Club qu’elle avait mis en place et qui, dans un contexte de paranoïa générale, pourchassait les indics ou supposés tels. Malgré son manque de temps et de moyens et en dépit de l’opacité délibérée entretenue par les institutions policières et l’ANC, la Commission Vérité et Réconciliation, qui l’a citée à comparaître, arrive à la conclusion (1998) que Winnie Mandela a couvert et cautionné une spirale de violences, parmi lesquelles on relève une quinzaine de cas ayant mené à enlèvements, torture, et assassinats.
Mandela divorce d’avec Winnie et se remarie en 1998, à quatre-vingts ans, avec Graça Machel, veuve du président du Mozambique Samora Machel. Il se retire de la vie politique à la fin de son mandat et se consacre à ses fondations privées, en particulier à la lutte contre le sida. Il meurt le 5 décembre 2013 à Johannesburg.
Le combattant de la liberté et de la réconciliation
L’homme d’État Nelson Mandela a engagé son pays dans un processus douloureux de réconciliation nationale, qui s’est traduit par les travaux et le volumineux rapport que lui a remis la Commission Vérité et Réconciliation, présidée par l’archevêque anglican Desmond Tutu, le 29 octobre 1998. Il a ainsi exclu l’oubli, mais aussi la revanche de l’opprimé sur l’oppresseur. L’Afrique du Sud qu’il a contribué à faire naître se veut désormais une nation arc-en-ciel.
Pour en savoir plus, voir les articles Afrique du Sud : histoire, Afrique du Sud : vie politique depuis 1961, apartheid.
Consulter aussi le site la Fondation Mandela