Afrique du Sud : vie politique depuis 1961

Mandela et De Klerk, prix Nobel de la paix
Mandela et De Klerk, prix Nobel de la paix

Le 31 mai 1961, la République d'Afrique du Sud, totalement indépendante, est proclamée : Charles Swart en est le premier président. Alors qu'ailleurs en Afrique les colonies accèdent à l'indépendance, le régime de l’apartheid va encore être renforcé par le National Party. Ce dernier domine dès lors la vie politique devant l'United Party, qui représente les Anglo-Saxons partisans d'une ségrégation raciale moins rigoureuse, mais dont l’audience s’affaiblit jusqu’à sa dissolution en 1977 et la création du Nouveau parti républicain. L’opposition libérale et celle d’extrême droite ne parviendront jamais à menacer la majorité absolue des sièges détenue par le National Party à l’Assemblée nationale.

1. Les années de plomb : 1961-1989

1.1. Le passage de l'ANC à la lutte armée

Le 21 mars 1960 à Sharpeville (township de Vereeniging), à l'appel du Pan-Africanist Congress (PAC, une branche dissidente de l'ANC fondée un an auparavant par Robert Sobukwe, se proclamant antimarxiste et exclusivement noire), des manifestants réclament pacifiquement l'abrogation du pass (permis de résidence et de travail en zone blanche), ainsi qu'une augmentation des salaires. À la suite d'un mouvement de panique, les policiers tirent sur la foule, tuant 69 manifestants et faisant plus de 150 blessés. Le gouvernement d'Hendrik Verwoerd décrète l'état d'urgence, interdit l'ANC et le PAC.

L'ex-président de l'ANC Albert Luthuli, assigné en résidence surveillée pour avoir publiquement brûlé son pass après le massacre de Sharpeville, se voit décerner le prix Nobel de la paix.

Rompant avec la non-violence, l’ANC passe à la lutte armée en 1961. Les dirigeants du PAC et de l'ANC, dont Nelson Mandela pour l'ANC où son autorité s'est imposée, poursuivent leur lutte dans la clandestinité ou depuis l'étranger.

1.2. La guerre froide

Les États africains joignent leurs voix à celles des pays du tiers-monde et du bloc communiste pour dénoncer le « pays de l'apartheid ». Les puissances occidentales, quant à elles, considèrent l'Afrique du Sud blanche, qui contrôle la route maritime du Cap et où le parti communiste est interdit depuis 1950, comme un rempart indispensable contre l'expansion soviétique. Aussi, durant la guerre froide, la condamnation de l'apartheid n'entraîne que peu de conséquences pratiques. De 1963 à 1977, malgré une recommandation de l'ONU, la France fournira à l'Afrique du Sud des avions et des chars de combat, puis des navires de guerre et des sous-marins, qui feront de l'armée sud-africaine la plus puissante du continent. De même, Israël est accusé par les pays arabes de contribuer à l'équipement militaire de l'Afrique du Sud.

1.3. Le gouvernement Vorster (1966-1978)

En 1964, au procès de Rivonia, N. Mandela et plusieurs autres dirigeants de l'ANC, qui ont été arrêtés, sont condamnés à la prison à perpétuité.

En 1966, à la mort du Premier ministre Hendrik Verwoerd, Balthazar Johannes Vorster prend la tête du gouvernement, et la politique d'apartheid se durcit encore.

L'instauration de bantoustans

Malgré la recommandation de l'ONU, l'Afrique du Sud refuse, en 1969, de se retirer du Sud-Ouest africain (Namibie), devenu une province sud-africaine où l'apartheid continue d'être appliqué. Le régime entreprend de transformer les réserves tribales en bantoustans (ou homelands), États noirs autonomes et promis à une indépendance théorique, dans une sorte de fédération centrée autour d'un État blanc qui ne pourra que les dominer. Mais les réserves tribales sont, pour la plupart, constituées d'enclaves dispersées, dont la consolidation en territoires moins morcelés va entraîner des déplacements de populations dont seuls les Noirs auront à souffrir.

Les émeutes de Soweto et les sanctions internationales

En politique intérieure, l'année 1976 est marquée par une révolte des lycéens de Soweto, la banlieue noire de Johannesburg, qui protestent contre l'introduction de l'afrikaans comme langue d'enseignement à égalité avec l'anglais ; la répression fait plusieurs centaines de victimes. Le gouvernement n'en proclame pas moins l'indépendance factice du premier bantoustan, le Transkei, d'où est originaire N. Mandela, toujours incarcéré au bagne de Robben Island. Le 7 septembre 1977, la mort sous la torture du leader charismatique du mouvement de la Conscience noire (Black Consciousness Movement, BCM), Steve Biko, suscite l'indignation internationale.

L'isolement de l'Afrique du Sud

Confronté à l'hostilité quasi générale des États africains, B. J. Vorster réussit cependant à nouer des relations diplomatiques avec le Malawi, tandis que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny prône un « dialogue » avec l'Afrique du Sud. Mais le bastion blanc de l'Afrique australe – les colonies portugaises de l'Angola et du Mozambique et la Rhodésie blanche – se fragilise sous les coups de guérillas nationalistes. En 1974, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France opposent toujours leur veto à l'expulsion de l'Afrique du Sud de l'ONU.

En 1975, les mouvements de libération marxisants de l'Angola et du Mozambique (→ MPLA et FRELIMO) contraignent le Portugal à accorder l'indépendance à ces deux pays. L'Afrique du Sud, après avoir voulu s'opposer au MPLA par une intervention militaire qui se heurte à un corps expéditionnaire cubain, va dès lors soutenir dans les deux anciennes colonies portugaises des mouvements de guérilla anticommunistes, l'Unita en Angola et la RENAMO au Mozambique. En 1977, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte une résolution imposant un embargo sur les ventes d'armes, mais rejette les sanctions économiques.

1.4. Pieter Wilhelm Botha (1978-1989)

La nouvelle Constitution de 1984

En 1978, B. J. Vorster est élu chef de l'État après le décès du président Diederichs, et Pieter Wilhelm Botha devient Premier ministre. Impliqué dans un scandale financier sur l'utilisation de fonds secrets, Vorster démissionne en 1979.

L'ANC réussit pour sa part en décembre 1982 un spectaculaire sabotage de la centrale nucléaire de Koeberg, tandis que l’opposition intérieure au régime se consolide : en août 1983, plusieurs centaines d’associations se regroupent dans le Front démocratique uni – dont l’un des porte-parole est Mgr Desmond Tutu, secrétaire général du Conseil sud-africain des Églises – pour lancer une campagne non violente en vue d’obtenir outre la suppression de l’apartheid, l’abandon du projet d’institution d’un parlement tricaméral avec une chambre pour les métis et une pour les Indiens, mais dans lequel la chambre blanche détiendrait la majorité des sièges. Cette mesure est cependant intégrée dans la nouvelle Constitution entrée en vigueur en 1984, et aux termes de laquelle P. Botha est élu président de la République tout en restant Premier ministre.

Une société en ébullition

La violence s'aggrave dans les townships, où la population s'attaque aux Noirs suspectés de collaborer avec le régime. Le pouvoir décrète l'état d'urgence en juillet 1985 et intensifie la répression, ce qui amène plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis (octobre 1986) à prendre des sanctions économiques contre l'Afrique du Sud et entraîne le départ d'entreprises étrangères.

Le gouvernement, qui, en 1982, a fait transférer N. Mandela du bagne de Robben Island dans un pénitencier du Cap, amorce avec lui, en 1985, des négociations ultrasecrètes, et abolit deux des lois les plus honnies du système : l'interdiction des relations sexuelles et du mariage entre Blancs et non-Blancs et l'obligation du pass pour les Africains. Mais ces mesures ne calment pas l'agitation dans les townships noires ; les grèves s’intensifient, à l’appel de syndicats noirs confédérés depuis décembre 1985 au sein du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu).

Les États africains de l'Afrique australe, qui ont formé la « ligne de front » contre l'Afrique du Sud, accentuent leur pression diplomatique. Le National Party n'en remporte pas moins les élections législatives à l'Assemblée blanche en 1987, mais le gouvernement est menacé sur sa droite par l'émergence du Conservative Party d'Andries Treurnicht, hostile à tout assouplissement de l'apartheid, qui recueille près de 30 % des suffrages (23 sièges).

En politique étrangère, en 1988, un grand pas vers la paix en Afrique australe est franchi avec la signature entre l'Afrique du Sud, l'Angola et Cuba d'un accord prévoyant le retrait immédiat d'Angola des troupes sud-africaines et un calendrier pour celui du corps expéditionnaire cubain ; un accord annexe prévoit l'indépendance de la Namibie, qui deviendra effective en mars 1990.

2. Frederik De Klerk : réformes et négociations (1989-1994)

En août 1989, P. Botha, désavoué par le National Party et affaibli par la maladie, est contraint à la démission. Frederik De Klerk, qui lui succède, va amorcer le grand tournant vers une Afrique du Sud démocratique et multiraciale, au moment où la désagrégation de l'URSS fait perdre son intérêt stratégique à la République sud-africaine.

2.1. Libération des dirigeants historiques de l'ANC

Conforté par les élections de septembre 1989, qui permettent au National Party de conserver la majorité absolue, F. De Klerk prend plusieurs mesures historiques qui bouleversent l'ordre ancien : levée de l'état d'urgence en vigueur depuis 1985 ; libération des leaders de l'ANC, dont Walter Sisulu (1912-2003), Mandela (le 11 février 1990, après 27 années de captivité, dont les derniers mois dans une villa de son pénitencier, d'où il poursuit ses tractations avec le pouvoir) ; légalisation de plus de 30 partis politiques non-blancs jusque-là interdits ou bannis et, principalement de l'ANC, du PAC et du parti communiste.

Mandela se déclare en faveur de la continuation de la lutte armée menée par la branche militaire de son parti (Umkhonto we Sizwe), mais il dirige la délégation de l'ANC aux premiers pourparlers avec le gouvernement. Les deux parties conviennent d'entamer « un processus pacifique de négociation » ; le PAC, de son côté, condamne les accords. En août, N. Mandela annonce la suspension de la lutte armée.

2.2. La Convention pour une Afrique du Sud démocratique

De graves difficultés naissent des réticences de l'Inkatha, le parti zoulou du Natal, dirigé par le chef Mangosuthu Buthelezi. Les luttes entre l'Inkatha et l'ANC s'étendent du Natal aux townships du Transvaal. Mandela accuse le gouvernement de soutenir l'Inkatha par des commandos du Bureau de coopération civile (CCB), unité ultrasecrète de l'armée sud-africaine, qu'appuient les milices paramilitaires (vigilance organizations) des mouvements afrikaners d'extrême droite. En 1991, F. De Klerk reconnaît que son gouvernement a apporté un soutien financier à l'Inkatha.

Les négociations prennent un nouveau départ au sein de la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (Codesa), qui réunit tous les partis – sauf le PAC et les formations d'extrême droite, dont le Mouvement néonazi de la résistance afrikaner (AWB, Afrikaanse Weerstandbeweging) fondé par Étienne Pierre'Blanche en 1973, est le plus virulent. La Codesa fixe les principes généraux de la future Constitution démocratique du pays.

En mars 1992, l'électorat blanc approuve largement, par référendum (68,7 % de « oui »), la politique de réformes du président De Klerk. Mais la négociation s'enlise, et après le massacre de partisans de l'ANC perpétré en juin par l'Inkatha à Boipatong au sud de Johannesburg, l'ANC décide de suspendre sa participation aux travaux de la Codesa. Buthelezi se rapproche des chefs des bantoustans « indépendants » du Bophuthatswana et du Ciskei pour former un « front du refus », auquel se joint l'extrême droite blanche.

2.3. L'aboutissement des négociations

Après onze mois d'interruption, les négociations reprennent en avril 1993. Malgré la montée de la violence (9 000 morts de 1990 à 1993) et l'assassinat de Chris Hani, secrétaire général du parti communiste et membre du Comité national exécutif de l'ANC, les discussions progressent rapidement, en dépit de l'opposition de l'Alliance de la liberté, regroupant l'extrême droite et l'Inkatha.

La date du 27 avril 1994 est retenue pour l'organisation des premières élections démocratiques et multiraciales. Une Constitution intérimaire, applicable à partir de 1994, est adoptée. Les bantoustans sont réintégrés dans le territoire sud-africain, redécoupé en 9 provinces. Un Conseil exécutif de transition (TEC) multipartite est chargé de contrôler l'action du gouvernement et de préparer les élections.

En 1993, F. De Klerk et N. Mandela se voient attribuer conjointement le prix Nobel de la paix. Entre-temps, les États-Unis puis le Japon et la CEE ont décidé la levée des sanctions économiques, que N. Mandela juge d'abord prématurée, avant de la demander à la tribune de l'ONU en septembre 1993 (l'embargo sur les armes ne sera toutefois levé qu'en mai 1994).

3. Une Afrique du Sud démocratique et multiraciale (depuis 1994)

3.1. L'ANC et Nelson Mandela au pouvoir

Les premières élections multiraciales et démocratiques au suffrage universel se déroulent pratiquement sans incidents fin avril 1994, comme prévu, avec une très forte participation. L'ANC, victorieux dans 7 provinces, obtient 62,65 % des suffrages, le National Party, qui bénéficie du vote métis, 20,39 %, et l'Inkatha, 10,54 %. Le 9 mai, la nouvelle Assemblée élit à la tête de l'État N. Mandela, qui est assisté par deux vice-présidents : Thabo Mbeki, de l'ANC, et Frederik De Klerk.

Le gouvernement d'union nationale qui est formé comprend 18 ministres de l'ANC, 6 du National Party et 3 de l'Inkatha. Il met en place, en 1995, la Commission Vérité et Réconciliation, dirigée par Monseigneur Desmond Tutu et chargée jusqu'en 2001, date de la fermeture de ses derniers bureaux, de recueillir les témoignages des victimes de violations des droits de l'homme sous l'apartheid.

Après l'adoption, en 1996, d'une nouvelle Constitution, le National Party quitte le gouvernement. L'extrême droite blanche doit faire son deuil du rêve d'un petit État blanc afrikaner, le Volkstaat, enclavé dans une Afrique du Sud multiraciale.

Lors du 50e congrès de l'ANC à Mafikeng en octobre 1997, le vice-président Thabo Mbeki, est élu à la tête du parti, succédant à Nelson Mandela.

Au plan international, l'Afrique du Sud réintègre le Commonwealth et l'ONU ainsi que les organisations régionales, Organisation de l'unité africaine (OUA) et la SADC (Southern Africa Development Community) notamment.

3.2. La présidence de Thabo Mbeki (1999-2008)

Lors des élections générales de juin 1999, l'ANC et son leader Thabo Mbeki (désigné dès 1997 par Mandela pour lui succéder) remportent une très large victoire en obtenant 266 sièges (sur 400) à l'Assemblée nationale ; au niveau régional, comme en 1994, deux provinces continuent à lui échapper (le Kwazulu-Natal, dominé par l'Inkatha, et le Cap-Ouest, grâce à l'alliance des partis d'opposition). Au sein de l'opposition, le parti démocratique (DP) détrône le National Party (rebaptisé pour l'occasion New National Party [NNP]) comme premier parti d'opposition au niveau national (9,5 % contre 6,9 %).

Sans alternative crédible, l'ANC reste largement dominant et bénéficie de deux alliés historiques de poids, qui ont combattu ensemble l'apartheid : le parti communiste sud-africain (SACP) et le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu). Ces trois organisations forment ensemble l'Alliance tripartite. Entré en fonction le 16 juin, le nouveau président constitue un gouvernement formé de fidèles, mais dans lequel il associe l'Inkatha de Buthelezi, comme sous Mandela.

Les élections générales d'avril 2004 consacrent une nouvelle victoire de l'ANC (69,7 % des voix) qui détient désormais 279 sièges à l'Assemblée et qui peut désormais gouverner dans les 9 provinces du pays, dont 7 avec une majorité absolue. T. Mbeki est réélu triomphalement à la présidence de la République pour un second mandat de cinq ans. Héritier des partis libéraux blancs opposés à l'apartheid, l'Alliance démocratique (DA, issu d'une alliance conclue entre le DP et le NNP en 2000 et rompue dès 2001) obtient 12,3 % des voix et 50 sièges, devenant le principal parti d'opposition. L'Inkatha ne recueille plus que 7 % des suffrages et le NNP s'effondre (1,6 % des voix) avant de fusionner dans l'ANC (2005). L'opposition libérale parvient à mieux se maintenir dans ses bastions d'origine lors des élections municipales de 2006 où DA obtient 14,8 % des suffrages et réussit à reprendre la mairie du Cap à l'ANC, seule métropole qui ne soit pas aux mains du parti présidentiel.

Pauvreté, criminalité, sida

Le bilan des deux mandats du gouvernement Mbeki est mitigé. À l'intérieur, le gouvernement fournit un effort important pour tenter de réduire les inégalités héritées du régime de l'apartheid. La mise en place d'une politique de discrimination active (BEE ou Black Economic Empowerment) et d'une politique d'affirmative action pour les populations historiquement défavorisées fait émerger une classe moyenne noire.

Il n'en reste pas moins que la dérégulation rapide de l'économie sud-africaine – suite à l'adoption en 1997 d'une politique économique d'orientation néolibérale (le GEAR ou Growth, Employment and Redistribution Strategy), notamment grâce à l'influence décisive de T. Mbeki – contribue à faire exploser la pauvreté et le chômage. Les inégalités sociales ne se sont pas réduites, la réforme foncière n'a qu'un très faible impact dans les milieux ruraux (redistribution limitée à 3 % des terres arables), alors que la criminalité, prévalente dans les grandes villes, ne décline guère (entre 15 000 et 18 000 homicides par an).

Les plus vives critiques portent sur la question du traitement du sida dans un pays qui compterait entre 5 et 6 millions de séropositifs. Au lieu de donner la priorité à une politique massive d'usage d'antirétroviraux, le gouvernement privilégie, de 2000 à 2004, la prévention des MST par la lutte contre la pauvreté tout en diffusant des messages opaques sur la transmission du VIH et en émettant des doutes sur l'efficacité des antirétroviraux. Ceux-ci ne sont distribués gratuitement qu'à partir de 2004 et seulement à quelque 50 000 personnes. Ces échecs affectent surtout les milieux populaires, traditionnels soutiens de l'ANC.

La résurgence des mouvements sociaux

Des mouvements sociaux, dont l'histoire est fortement liée à la lutte contre l'apartheid, ressurgissent, tandis que les alliés de l'ANC (Cosatu et SACP) protestent contre l'orientation économique du gouvernement et la privatisation des entreprises. Le Mouvement des sans-terre (LPM), la Campagne pour le traitement du sida (TAC) deviennent en quelques années des mouvements nationaux puissants, rejoints dans leur combat par des organisations locales de communautés pauvres qui protestent contre les coupures d'eau et d'électricité ou les expulsions pour loyers impayés (mouvement anti-éviction, comité de crise de l'électricité de Soweto).

L'essor de ces mouvements s'explique également par l'incapacité du système politique sud-africain à générer une opposition à la gauche de l'ANC. Ce faisant, ils inscrivent les besoins des pauvres dans l'agenda politique, non sans succès d'ailleurs puisqu'en en 2005-2006, le gouvernement, opérant un revirement majeur de sa politique économique, décide de soutenir la création d'emplois dans le privé comme dans le public, de renforcer les ressources humaines dans les secteurs de la santé et de l'éducation, de réaliser de grands projets d'infrastructures – notamment dans le cadre de la préparation de la Coupe de monde de football 2010 – et de développer une politique d'affirmative action moins élitiste, visant un nombre élargi de bénéficiaires (Broad Based BEE).

L'ANC divisée

Ce revirement tardif ne suffit pas à enrayer l'impopularité du président. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'essor, au sein de l'ANC, d'une mouvance favorable à Jacob Zuma. Ce dernier, leader historique du parti dont il est vice-président en 1997, a été limogé en juin 2005 en raison de sa possible implication dans une affaire de corruption et de viol. Son acquittement (lors du procès pour viol) et la suspension des poursuites (dans l'affaire de corruption) lui permettent ainsi de reprendre la vice-présidence de l'ANC en mai 2006 et de s'opposer de plus en plus ouvertement au président.

Perçu comme le candidat des masses, soutenu par l'aile gauche et l'aile jeune de l'ANC, par la Cosatu et le SACP, cet autodidacte s'impose à la présidence du parti en décembre 2007. Accusé d'être intervenu auprès de la justice contre son rival Zuma, Mbeki est désavoué par l'ANC et remet sa démission (septembre 2008). Kgalema Motlanthe, vice-président du parti, lui succède à la présidence de la République jusqu'aux élections générales prévues en 2009.

Une diplomatie active à l'échelle de l'Afrique

La visibilité internationale de l'Afrique du Sud s'est renforcée grâce à une diplomatie active à l'échelon du continent. Médiateur dans plusieurs conflits (Burundi, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire), principal promoteur du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et de l'Union africaine, Mbeki est également l'hôte du sommet mondial sur le développement durable tenu à Johannesburg en 2002. Le refus de Pretoria de condamner le régime du président Mugabe au Zimbabwe demeure néanmoins incompris dans les capitales occidentales.

3.3. Jacob Zuma (2009-2018)

Les élections générales d'avril 2009

À quelques jours des élections générales d'avril 2009, le parquet général sud-africain décide, après huit ans de procédures pour accusations de corruption, racket, fraude fiscale et blanchiment d'argent, de cesser les poursuites judiciaires à l'encontre de Jacob Zuma, grand favori pour devenir chef de l'État.

L'ANC remporte une nette victoire (65,90 % des suffrages) mais enregistre, pour la première depuis 1994, un effritement de ses scores. Le Congrès du peuple (COPE, parti fondé en décembre 2008 par des dissidents proches de Mbeki, qui reprochent à la nouvelle direction de l'ANC de bafouer les principes démocratiques du mouvement) obtient 7,42 %. L'Alliance démocratique (DA), conduite par l'énergique maire du Cap, Helen Zille, améliore ses positions avec 16,66 % des voix au niveau national et autour de 52 % des voix et 22 sièges dans la région du Cap-Ouest. Le parti conservateur zoulou de l’Inkatha est laminé dans la province du Kwazulu-Natal, obtenant moins de 5 % des voix à l’échelon national (contre 10 % en 1994).

Premier mandat

Élu le 6 mai à la présidence de la République par le Parlement par 277 voix sur 400, Jacob Zuma, soucieux de ne pas s'aliéner les milieux d'affaires, présente au lendemain de son investiture un gouvernement marqué par la continuité. Kgalema Motlanthe, président par intérim sortant, est nommé vice-président, tandis que l’ancien ministre des Finances, Trevor Manuel, se voit confier la présidence de la Commission nationale du Plan, chargée de la définition de politiques de long terme auprès de la présidence.

Élu sur un programme d'éradication de la pauvreté, Jacob Zuma doit également faire face à la pire récession qu'ait connue le pays depuis 17 ans. Grâce aux politiques de redistribution et aux nombreuses aides sociales dont bénéficient plus de 13 millions de Sud-Africains, la pauvreté (ou pourcentage de la population vivant avec un ou moins de 1 dollar par jour) aurait cependant reculé, passant de 31 % de la population en 1994 à 22 % en 2009. Pourtant, les inégalités s'accroissent et la forte prospérité qu’a connue l’Afrique du Sud jusqu’à la crise de 2009 bénéficie surtout à la minorité blanche et à la classe moyenne noire. Les mouvements sociaux, apparus depuis 1999, ne baissent pas en intensité : en juillet 2009, le président est confronté à ses premières turbulences sociales et à de violentes manifestations dans plusieurs townships (Diesloop et Thokoza à Johannesburg, ainsi que dans les provinces orientales du Kwazulu-Natal et de Mpumalanga).

La préparation de la Coupe du monde de football 2010 suscite des oppositions importantes mais dispersées : protestation des milieux académiques et journalistiques contre le coût de l’opération, grèves à répétition des travailleurs du bâtiment pour obtenir des augmentations salariales, manifestation des opérateurs de taxi contre les politiques de transport public du gouvernement et des municipalités, manifestations du mouvement sud-africain des bidonvilles Abadhali qui s’oppose à la relégation des pauvres hors des centres-villes et au peu de progrès accompli pour l’amélioration de l’habitat dans les bidonvilles.

La Coupe du monde ouvre une trêve politique et sociale, mais dès le mois d’août, les syndicats du secteur public – affiliés pour la plupart à la puissante confédération syndicale Cosatu, précieuse alliée à l’ANC mais de plus en plus critique à l’égard du gouvernement – lancent une grève massive, notamment dans les hôpitaux et l’éducation, avec pour revendication principale une hausse des salaires.

Après la satisfaction partielle de cette dernière revendication, le mouvement cesse en octobre. Mais la contestation à l’intérieur de l’ANC renaît, menée en particulier par sa Ligue de la jeunesse que préside Julius Malema, l’un des plus fervents partisans de Jacob Zuma en 2007. Accusé de semer la division par ses appels populistes à la nationalisation des mines et à l’expropriation des Blancs, puis inculpé par la justice pour blanchiment d’argent et racket, Malema est exclu du parti en avril 2012, mais conserve des appuis au sein du parti.

Le gouvernement doit aussi faire face aux accusations de corruption visant des personnalités de premier plan : le ministre des Travaux publics et celui des Affaires locales, ainsi que le chef de la police sont écartés (octobre 2011), une décision saluée par l’opposition menée par l’Alliance démocratique ; cette dernière, qui a doublé ses scores aux élections municipales de mai avec 24 % des suffrages, est menée à l’Assemblée nationale pour la première fois par une députée noire, Lindiwe Mazibuko.

À l’usure du pouvoir, s’ajoute un fort mécontentement social qui culmine dans les affrontements meurtriers qui ont lieu d'août à octobre 2012 à Marikana, entre la police et les mineurs en grève exigeant des hausses de salaires. Une commission d’enquête sur des exactions policières est créée, tandis que les revendications syndicales sont partiellement satisfaites. Malgré les scandales auxquels s'ajoute un bilan économique et social très mitigé, Jacob Zuma est reconduit en décembre 2012 à la tête de l’ANC, qui fête cette année ses 100 ans d’existence.

Second mandat

En dépit d'une image ternie par une nouvelle affaire concernant l’utilisation de fonds publics pour la modernisation de sa résidence privée, et faisant fi des appels à la démission en provenance de divers secteurs de la société, le président brigue aux élections de mai 2014 un second mandat.

L'ANC recule cependant légèrement avec 62,15 % des suffrages et 249 sièges sur 400 ; l’Alliance démocratique poursuit sa progression tant au niveau national (22,23 % des voix et 89 sièges) que dans les provinces, notamment dans celles du Gauteng (30,78 % des voix), du Cap-Nord (23,89 %) et du Cap-Ouest, où elle conforte sa majorité avec 59,38 % des suffrages et 26 sièges sur 42. Au KwaZulu-Natal, elle parvient à dépasser l’Inkatha, qui poursuit sa chute en perdant la moitié de ses sièges.

Autre fait marquant de ce scrutin, les Combattants de la liberté économique (EFF, créé par Julius Malema en 2013 ), deviennent la troisième force politique du pays avec 6,2 % des suffrages, prenant la place du Congrès du peuple (COPE) qui s’effondre à 0,67 %. EFF réalise des scores importants dans les provinces du Nord-Ouest (13,21 %), du Limpopo (10,74 %), où devance la DA, ainsi que dans le Gauteng (10,3 %).

Bien qu'affaibli, J. Zuma, qui conserve une large majorité et le soutien d’une grande partie de la population, est réélu sans difficulté à la présidence de la République.

Alors que la situation économique et sociale se détériore avec une croissance en net ralentissement et une augmentation du chômage (plus de 26 % en 2016), le président est cependant de plus en plus contesté, toujours mis en cause dans des affaires de corruption anciennes ou nouvelles. Il doit ainsi faire face à plusieurs motions de défiance déposées par l’opposition entre 2015 et 2017, tandis que la Cour suprême autorise la réouverture des accusations émises à son encontre.

En proie aux divisions, l’ANC est sanctionné lors des élections municipales de 2016 en enregistrant son plus mauvais résultat depuis 1994, avec notamment la victoire de l’opposition à Johannesburg et Pretoria, et porte à sa tête le vice-président Cyril Ramaphosa, principal rival de J. Zuma, lors de son congrès de décembre 2017 convoqué dans la perspective des élections législatives de 2019.

Dès lors, les pressions s’accentuent sur le président, empêtré dans un scandale, resurgi depuis 2016, portant sur l’influence occulte, au sein de l’État, d’une famille d’hommes d’affaires d’origine indienne (les Gupta), sur la gestion des contrats publics.

Le Comité national exécutif du parti vote ainsi la révocation (recall) du président, le 13 février 2018. Ayant perdu une grande partie de ses alliés et menacé par une nouvelle motion de défiance au Parlement, Jacob Zuma finit par céder et démissionne. C. Ramaphosa devient président de la République par intérim.