fauvisme

(de fauve)

Mouvement pictural français du début du xxe s.

Né en 1904, disparu quatre ans plus tard sans constituer à proprement parler une école ni élaborer une doctrine, le fauvisme rassemble des artistes préoccupés par la création d'un nouveau langage pictural, essentiellement fondé sur la couleur.

Les Fauves

C'est le critique d’art Louis Vauxcelles qui donne son nom au fauvisme. A l'occasion du Salon d'automne de 1905, où une sculpture classicisante d'un certain Marque est présentée dans une salle réunissant des œuvres aux couleurs très vives, signées Camoin, Flandrin, Matisse, Marquet, Rouault, il écrit dans le journal Gil Blas : « La candeur de ce buste surprend au milieu de l'orgie de tons purs : Donatello parmi les fauves. » La violence de ces toiles passe alors pour exprimer une sauvagerie inhumaine.

Composition du groupe

Ces Fauves cependant, loin d'être des peintres de pur instinct, ont pour la plupart suivi une formation académique. Henri Matisse et Albert Marquet se sont rencontrés à l'École des beaux-arts, qu'ont aussi fréquentée Charles Camoin et Henri Manguin, tandis que Jean Puy se perfectionne à l'académie Julian. L'atelier de Gustave Moreau, où ils se retrouvent, passe alors pour être un véritable foyer de révolte où « tous les insurgés contre la routine, tous ceux qui entendent se développer selon le sens de leur individualité se sont groupés ». Raoul Dufy, Othon Friesz, Georges Braque, tous trois originaires du Havre, fréquentent, quant à eux, l'atelier de Bonnat. Ces peintres, auxquels se joignent bientôt Maurice de Vlaminck et Kees Van Dongen, formeront le noyau actif du fauvisme. Au-delà de préoccupations artistiques communes, ces jeunes créateurs partagent un certain nombre d'idées sur la société. Volontiers anarchistes, antimilitaristes, anticléricaux, ils s'attaquent aux valeurs bourgeoises et posent dans l'enthousiasme les bases d'une nouvelle esthétique. En raison des fortes personnalités qui le composent, le fauvisme ne peut se définir en une seule formule, chaque artiste lui ayant imprimé un caractère particulier.

Collaborations et rencontres

Matisse, l'aîné du groupe, peintre déjà confirmé, assure la cohésion du mouvement, à la fois pivot et catalyseur. Les Fauves travaillent en petits groupes de deux ou trois, le temps d'un été ou d'un voyage, échangeant leurs points de vue sur la peinture. Ces séances constituent les temps forts du fauvisme. Matisse et Derain passent l'été 1905 à Collioure, rivalisant d'ardeur sur le motif, tandis que Friesz et Braque voyagent à Anvers, à l'Estaque et à La Ciotat. L'année suivante, Marquet et Dufy rapportent de la côte normande des toiles aux couleurs éclatantes : Sainte-Adresse, Fécamp, Trouville, Honfleur. Derain et Vlaminck travailleront ensemble pendant plusieurs années à Chatou, faisant de cette petite ville de la banlieue parisienne la capitale du fauvisme. Deux fois dans l'année, les artistes se retrouvent en amicale concurrence sur les cimaises des salons parisiens : au printemps, au Salon des indépendants, puis au Salon d'automne, où ils exposent leur production de l'été précédent.

Les sources du mouvement

Le fauvisme plonge ses racines dans le xixe s. : Delacroix, Van Gogh, Gauguin, le néo-impressionnisme constituent ses sources avouées.

Matisse et le divisionnisme

Signac initie le groupe aux doctrines coloristes du siècle passé. Son De Delacroix au néo-impressionnisme, publié en 1899, expose les principes du pointillisme. Il montre comment Delacroix, le premier, a dissocié le ton du contour, donnant à la couleur une expression autonome de même valeur que le dessin. Signac invite Matisse à venir le rejoindre pendant l'été 1904 à Saint-Tropez, où se trouve aussi Henri Edmond Cross, un adepte du divisionnisme. À leurs côtés, Matisse adopte la division de la touche, qui élimine le modelé et la couleur locale. Il cherche alors à s'écarter définitivement de la lumière et de l'espace naturalistes des impressionnistes. Il est aussi sensible aux sujets idylliques peints par ses compagnons et rapporte de Saint-Tropez un véritable chef-d'œuvre, Luxe, Calme et Volupté, à mi-chemin entre pointillisme et fauvisme. De retour à Paris, il convertit ses amis Derain, Manguin, Vlaminck à la méthode pointilliste. Une exposition rétrospective de l'œuvre de Seurat, au Salon des indépendants de 1905, marque le sommet de l'influence du néo-impressionnisme sur les Fauves. Cette technique ne tarde pas, en effet, à montrer ses limites : le morcellement de la couleur et la juxtaposition de tons purs complémentaires provoquent des perturbations visuelles qui viennent troubler la lecture des toiles. Si bien que les jeunes artistes se mettent à élargir leurs touches, appliquant les couleurs en à-plats afin de créer des surfaces plus calmes.

L’influence de Gauguin

Matisse délaisse le divisionnisme en raison de sa tyrannie méthodique, qui rend la peinture mécanique. « On ne peut pas vivre, dit-il, dans un ménage trop bien fait, un ménage de tantes de province. Alors on part dans la brousse, pour se faire des moyens simples qui n'étouffent pas l'esprit. » Ce départ évoque l'aventure artistique de Gauguin, qui vient de mourir, en 1903, aux Marquises. Depuis quelques années, sa leçon circule dans les ateliers parisiens, surtout grâce à Paul Sérusier, l'un de ses disciples de Pont-Aven. Ce dernier est l'auteur d'un paysage exécuté en 1888 « sous la dictée » de Gauguin, le Talisman, composé d'à-plats de couleurs juxtaposées, réduisant les formes à des surfaces et la composition à un rythme harmonieux de taches colorées. Cette audacieuse simplicité, que Gauguin ne pratiqua jamais aussi radicalement, sera poussée à son paroxysme par les Fauves.

La leçon de Van Gogh

Matisse et Derain se rendent en 1905 chez Daniel de Monfreid, l'ami des dernières années de Gauguin, pour admirer les toiles du maître de Tahiti. Avant lui, seul Van Gogh, guidé par son instinct, a utilisé la couleur pure comme langage émotionnel : sa peinture, révélée au groupe par une exposition chez Bernheim-Jeune en 1901, puis au Salon des indépendants de 1905, imprimera une marque profonde sur l'esthétique fauve. Plus que le message sentimental, c'est la syntaxe des toiles de Van Gogh qui impressionne les jeunes artistes, dont Vlaminck, qui affirmera le préférer à son propre père.

L'utilisation de la couleur

Héritiers des recherches coloristes du siècle passé, les Fauves s'en distinguent cependant par leur vision fondamentalement antinaturaliste, leur volonté d'échapper au système illusionniste. Leur projet étant d'exprimer les sensations de l'artiste et de remuer « le fond sensuel des hommes », la couleur n'est pour eux que le révélateur d'un monde intérieur et non la représentation d'une vision objective.

Leur engouement pour certains sites du midi de la France – Saint-Tropez, Collioure, l'Estaque, Cassis, La Ciotat – peut donner à penser que les tonalités vives de leurs toiles sont inspirées par les couleurs naturelles intenses du paysage et l'éclat de la lumière méditerranéenne. Mais ces couleurs irréelles expriment plus une recherche spirituelle qu'une observation de la nature. Quel que soit le sujet choisi, la palette fauve varie peu.

Derain

Le peintre utilise les mêmes tons purs pour peindre le pont de Westminster et la Tamise que pour décrire le pont de Chatou et les péniches. Il construit ses plans à l'aide de couleurs primaires : le bleu indique la profondeur de l'espace et l'éloignement; poussé jusqu'à l'outremer, il figure les ombres froides, et sa présence contrebalance les tons chauds de la toile. Le bleu et le rouge se trouvent employés en proportions à peu près égales, avec des passages violets résultant du mélange des deux couleurs.

Braque

La palette de Braque, elle, se compose de tons froids, bleus, verts, violets, rehaussés de quelques touches de couleurs vives. En 1906, le port d'Anvers lui inspire des vues très animées, où se juxtaposent des surfaces colorées simplifiées à l'extrême; les lourds nuages flamands sont traités dans une gamme de couleurs non réalistes : jaune, rose, vert, bleu, violet. Friesz, compagnon de Braque à Anvers, exécute des paysages dans des tons proches, bien que plus assourdis, qui témoignent des échanges incessants entre les deux artistes.

Matisse

De tous les Fauves, Matisse est celui qui pousse le plus loin les recherches sur la couleur, donnant à chaque touche un pouvoir sensoriel et émotif. Après avoir assimilé la leçon des pointillistes, il adopte une gamme de teintes sophistiquées, ne s'en tenant jamais aux seules couleurs primaires. Comme Gauguin, il affectionne les nuances raffinées – abricot, rose thé, vert émeraude, garance – posées en touches espacées, laissant apparaître le blanc de la toile pour mieux faire vibrer les tons, sans dégradé ni transition, sans modelé ni cerne soulignant arbitrairement les formes.

Avec ses couleurs vives non modulées, le fauvisme se situe à l'opposé de l'idéal classique. Ingres ne voyait-il pas dans la couleur « la partie animale de l'art » ? Les Fauves la considèrent, quant à eux, comme des « bâtons de dynamite ».

Sujets et compositions

Les Fauves abordent tous les genres de la peinture, portrait, nu, scène d'intérieur, nature morte et surtout paysage. Ils affectionnent les sites au bord de l'eau, les scènes animées des ports fluviaux et maritimes, l'activité des dockers chargeant et déchargeant des cargos, les péniches colorées sur la Seine ou la Tamise, les voiliers pavoisés dans les ports de plaisance. De la côte normande et de la mer du Nord à la Méditerranée, le littoral se pare de couleurs éclatantes sous leurs pinceaux. L'eau n'est pas seulement bleue, verte ou violette, elle est aussi rouge, jaune, rose. Aux scènes de labeur décrites par Vlaminck et Derain s'opposent les visions festives de Dufy, Manguin et Marquet, avec leurs promeneurs dans les rues ou sur la plage de Fécamp, les rues décorées de drapeaux multicolores pour le 14 Juillet. Alors que ses compagnons s'intéressent au monde contemporain, Matisse ne décrit jamais le mouvement qui l'entoure. Ses tableaux représentent de paisibles visions intemporelles, des scènes d'un âge d'or imaginaire, peuplées de figures nues évoluant avec grâce sous un ciel clair (la Danse et la Musique, 1909).

Perspectives du fauvisme

Le fauvisme s'épanouit essentiellement en France, bien que Londres et Anvers constituent des lieux d'inspiration majeurs. Il ne se restreint cependant pas à l'Hexagone : son influence se manifeste en Allemagne au moment de la formation du groupe expressionniste Die Brücke (1905-1913). Si aucun lien n'est attesté entre les membres de ces deux mouvements, on peut relever de saisissantes analogies formelles entre leurs œuvres. On y retrouve la même force expressive du trait et de la couleur, plus déformée et plus violente chez les Allemands. Ces similitudes s'expliquent par des sources d'inspiration communes – Gauguin, Van Gogh, Cézanne, le néo-impressionnisme – et par la notoriété des œuvres de Matisse et de Derain en Allemagne vers 1907-1911, au moment de l'apogée de l'influence du fauvisme sur l'expressionnisme.

Le cubisme est souvent considéré comme le premier mouvement esthétique du xxe s., alors que le fauvisme apparaît comme un courant pictural appartenant encore au siècle passé. Avec son expression lyrique et heureuse de la couleur, sa facture puissante et dynamique, il se révèle, en réalité, comme l'un des derniers âges d'or de la peinture moderne.

  • 1905 À l'occasion du salon d'automne, les peintres dits « fauves », Matisse, Derain, Manguin et Rouault créent le scandale.
  • 1909 La Danse, peinture de H. Matisse, qui fera date pour son style épuré, sa densité chromatique et son unité rythmique.
  • 1910 Les Peupliers, peinture de M. de Vlaminck.
  • 1952 La Tristesse du roi, composition de H. Matisse.