Deux inventions technologiques réalisées à des milliers de kilomètres de Manaus allaient toutefois décider de son destin et sortir cette bourgade de sa douce torpeur. En Angleterre, un certain Mackintosh avait mis au point un procédé permettant d'utiliser le caoutchouc pour tisser des imperméables et, aux États-Unis, un certain Goodyear trouvait le procédé qui allait permettre de tirer du caoutchouc un produit résistant à la chaleur sans s'amollir et au froid sans perdre de son élasticité. Dès lors, de multiples débouchés s'offraient aux « serinqueiros » car l'hévéa qui produisait le précieux latex n'existait qu'en Amazonie.

Du jour au lendemain, Manaus et Belém se trouvèrent les grands bénéficiaires de ces inventions, Manaus ayant le monopole de la production et Belém celui de l'exportation. En quelques années, Manaus connut une niée sur le caoutchouc et vit sa population décupler. Les gens accoururent ici d'autant mieux que la région était à l'abri des moustiques grâce aux eaux du Negro – c'est sur sa rive gauche que la ville a été fondée. Celles-ci charrient en effet des constituants acides qui ont pour propriété de ne pas convenir à la reproduction de ces insectes qui pullulent ailleurs sur les berges du fleuve.

L'âge d'or de Manaus sera de courte durée et ne s'étendra pas au-delà de la Première Guerre mondiale. Les barons du caoutchouc n'en ont pas moins fait construire de somptueuses demeures, paver les rues et embellir la ville en la dotant de prestigieux édifices, dont le fameux théâtre inauguré en grande pompe en 1896. À la fin du xixe siècle, Manaus sera la première ville du Brésil à posséder un réseau ferré de tramway entièrement électrifié.

Un monde enchanté en pleine forêt

De cette magnificence, il reste à présent les palais de ses éphémères seigneurs et le splendide théâtre, une construction néoclassique laissée à l'abandon au cœur de la forêt pendant plusieurs décennies et aujourd'hui complètement rénovée. Des troupes venaient du monde entier pour faire vibrer à des milliers de kilomètres de l'Occident un public plus avide de paillettes et de strass que de sentiments et de passions sublimes.

À côté de ce théâtre de légende où les visiteurs peuvent de nos jours assister à de belles représentations, la Alfândega est un autre témoin de la prospérité d'antan de Manaus que l'on peut aisément visiter. Dessiné sur le modèle des palais florentins, ce bâtiment public a été d'abord exécuté en Angleterre avant d'être démonté pierre à pierre, puis transporté et reconstruit à Manaus. Située à proximité du port flottant de Manaus, ce prodigieux ouvrage constitué de cylindres de fer abrite aujourd'hui le service des douanes.

Un défaut de vigilance de la part des douaniers de Belém est à l'origine de la ruine de Manaus, quand, en 1910, ils laissèrent filer vers le large un cargo anglais contenant 70 000 graines d'hévéa dans ses cales. Cette négligence fut fatale au Brésil car elle permit aux Britanniques de fonder dans leur colonie de Malaisie les premières plantations d'hévéa. Dès l'arrivée sur le marché mondial du latex malais, les cours du caoutchouc s'effondrèrent de moitié. À la veille du premier conflit mondial, les stocks de caoutchouc étaient bradés au tiers de leur valeur.

Salvador de Bahia, la baie de Tous-les-Saints

Une chanson brésilienne demande : « Avez-vous été à Bahia ? Non ? Alors, allez-y ! » Pour quelle raison ? Pour y trouver la joie de vivre. À Bahia, la fête est partout dans l'air et dans les têtes. Les Bahiannais sont plus d'un million et demi. Cela fait du monde pour faire la fête ! Parce qu'elle a été découverte un 1er novembre 1501 par le navigateur portugais André Gonçalves, la baie a reçu le nom de baie de Tous-les-Saints. Elle est formée par une presqu'île montagneuse qui la protège des coups de vent provenant de l'Atlantique.

Élue capitale de la colonie en 1549 par le premier gouverneur général, la ville s'est bâtie sur le versant abrupte qui tombe sur la baie. Aussi est-elle faite de « ladeiras », de pentes, que l'on s'épuise vite à monter et à descendre, allant sans cesse de la basse ville à la haute ville. Par bonheur, pour économiser leurs forces, les Bahiannais ont construit un grand nombre de funiculaires utilisables à tous les moments du jour et de la nuit, et disposent au cœur de leur cité d'un pittoresque ascenseur collectif, le « grand ascenseur » !