À un jet de pierre du palais des Papes d'Avignon, l'un des plus beaux monastères chartreux, désormais Centre culturel de rencontre, est depuis 1987 siège de l'activité du Centre Acanthes, qui réunit musiciens confirmés, interprètes et compositeurs en devenir. Cette année, une centaine de jeunes étaient venus découvrir l'outil informatique auprès de leurs aînés, Tristan Murail, Ivan Fedele, Martin Matalon et Michael Jarrell, tous familiers de l'IRCAM, qui était évidemment le deus ex machina d'Acanthes 2000. Sous les voûtes de la chartreuse multiséculaire, une batterie de vingt ordinateurs sur lesquels s'escrimaient autant d'apprentis musiciens donnait au lieu un côté surréaliste. Mais outre les cours d'informatique dispensés aux compositeurs et instrumentistes, douze jeunes compositeurs étaient conviés à écrire une œuvre nouvelle appelée à être présentée au public, guidés par leurs six aînés et par le percussionniste chef d'orchestre Sylvio Gualda dirigeant vingt-cinq musiciens de l'Orchestre lyrique d'Avignon.

Organisés pour la première fois voilà cinquante-quatre ans, les Ferienkurse für Neue Musik (Cours d'été) de Darmstadt sont le rendez-vous mythique de la musique du xxe siècle. Lieu de rencontre et d'échanges intergénérations des compositeurs et interprètes désireux de connaître, comprendre et illustrer la musique de leur temps, cette manifestation a su attirer tout ce qui compte dans le monde de la musique contemporaine, dès l'été 1946, avec les Henze, Boulez, Stockhausen, Maderna, Nono, Pousseur, Kagel, Ligeti, Ferrari, Berio, Bussotti, Zimmermann, Globokar et consorts, qui allaient constituer ce qui restera dans l'histoire de la musique l'« école de Darmstadt ». Cette ville située à une trentaine de kilomètres de Francfort, dont elle est une sorte de cité-dortoir, accueille tous les deux ans une série de cours qui en ont fait la réputation internationale. Le quarantième cycle des Cours d'été aura été l'occasion de faire le point sur l'actualité des musiques d'aujourd'hui, particulièrement en Allemagne, dont la France n'a guère idée, en dépit des relations privilégiées qu'entretiennent les deux pays. À force de se replier sur elle-même, ne concevant la création qu'à travers les seules institutions parisiennes, la vie musicale française ne voit que par le petit bout de la lorgnette, au mépris de ce qui se passe ailleurs. Les jeunes musiciens seraient pourtant bien inspirés s'ils allaient voir de plus près les travaux de leurs semblables, d'autant que Darmstadt n'est qu'à cinq heures de route de Paris. Le compositeur japonais Toshio Hosokawa aura conquis plus d'une centaine d'auditeurs, tous plus appliqués les uns que les autres, dévorant avidement les partitions du maître. Tout comme celles de sa cadette et compatriote, Misato Mochizuki, qui, malgré des études au CNSM de Paris, un passage à l'IRCAM et quelques concerts à Paris, Royaumont et Perpignan, n'est guère présente en France. La musique de cette Japonaise est pourtant mue par une force vitale impressionnante, son expression venant directement du cœur.

Boulez à Aix-en-Provence

Le Festival d'Aix-en-Provence avait confié à Boulez un mois de master classes et une série de concerts avec les jeunes, apprentis chefs d'orchestre et instrumentistes, et son Ensemble intercontemporain, dont Christophe Desjardin a fait à son fondateur la surprise d'en créer la transcription pour altos de ses Messagesquisses pour violoncelles. Boulez, qui anime tous les ans des académies d'orchestre d'instrumentistes frais émoulus des conservatoires, a travaillé tout l'été avec l'Orchestre des Jeunes Gustav Mahler, qu'il aura dirigé un peu partout en Europe, notamment à Aix-en-Provence lors des deux concerts de clôture. Pédagogue fort couru et sachant combien il est capital pour que la musique perdure de transmettre aux nouvelles générations un savoir forgé au contact des plus grands artistes du siècle, Boulez est particulièrement à l'aise avec ces instrumentistes au seuil de leur carrière qu'il aime à pousser en leurs derniers retranchements avec une sereine conviction.

Retour de la création lyrique confirmé

« Un journal à deux voix ne se prête pas a priori au théâtre, mais il n'y a pas cela dans mon opéra », avertit Bernard Cavanna, auteur de la Confession impudique, opéra en deux actes adapté par Daniel Martin du roman éponyme de Junichiro Tanizaki et créé fin janvier sur la scène nationale d'Orléans dans une production de l'ARCAL. Formé à l'aune du théâtre, Cavanna ne pouvait s'abuser sur l'efficacité dramatique de cette nouvelle de 1956 du romancier nippon imbriquant érotisme et fascination de la mort. Pourtant, pour ajouter en vitalité dramatique et lyrique à une première version créée avec succès en 1992, Cavanna a jugé nécessaire de réécrire plus de la moitié de ce premier opéra, réduisant son orchestre et retravaillant une large portion de la partie vocale. En dépit du tour scabreux de l'intrigue – les personnages centraux, un mari vieillissant et une femme en pleine force de l'âge, consignent dans leur journal l'intimité de leurs relations de couple –, la Confession impudique a indubitablement la dimension du mythe éternel, sans laquelle le genre opéra ne saurait exister. Musicien d'une sensibilité à fleur de peau, subtil orchestrateur, Cavanna réussit à échapper à l'écueil du graveleux, confiant à la fosse le soin d'exprimer les arcanes de l'âme des héros dans leur douloureuse vérité, alors que le chant reste dans un parlando désincarné. L'orchestre, ardent et grave, tisse comme un voile de soie infini, sentiment conforté par un continuo électroacoustique aux sonorités abyssales en adéquation avec la nostalgie des timbres dominants de l'accordéon et du cymbalum.