Malgré la résidence de Philippe Manoury, l'Orchestre de Paris n'a guère l'occasion de donner des créations mondiales. C'est dire combien celle du 31 mars était attendue. D'autant que le Suisse Michael Jarrell est un excellent orchestrateur, et qu'il était joué par deux superbes musiciens engagés dans la musique de leur temps, le clarinettiste Paul Meyer et le chef Sylvain Cambreling. Cette pièce en un seul mouvement d'une vingtaine de minutes n'a pas déçu. Exploitant judicieusement la vélocité de la clarinette sans en souligner les travers, notamment dans ses capacités à détimbrer et ses stridences, Assonance IX surprend à tout instant, l'instrument soliste, omniprésent, ne cessant de jouer avec les couleurs de l'orchestre, en résonance ou en écho avec cordes, bois, cuivres, percussion ou tutti.

Justement considéré comme l'un des plus grands compositeurs français de la génération des années 1940, Hugues Dufourt s'est vu consacrer le 15 avril par l'Orchestre philharmonique de Radio France un concert monographique. La Maison du sourd, concerto pour flûte et orchestre écrit en 1996-1998 pour Pierre-Yves Arthaud, est une œuvre riche et dense. Cette partition regorge de grandes phrases d'un orchestre grondant, malgré la présence d'un unique instrument à percussion, un xylophone agité de spasmes déchirants entrecoupés de grandes envolées lyriques de cordes. Les deux pièces pour piano ont été jouées par Alice Ader, la première aux élans schumanniens (Rastlose Liebe, exploitant l'ambitus du clavier et exaltant le bon gros son hérité du romantisme), la seconde, Meeresstille, au tempo lent et à la thématique tendance minimaliste.

Il aura suffi de deux ans pour que le Festival Agora devienne l'un des grands rendez-vous parisiens de la création musicale contemporaine, pendant printanier du Festival d'Automne et de Présences. Cette manifestation pluridisciplinaire proposait une quinzaine de spectacles qui permettaient à l'IRCAM, dont elle émane, d'aller au-devant de nouveaux publics. L'édition 2000 s'ouvrait à toutes les formes d'expression, concert, théâtre, danse, cinéma, et jusqu'au cirque, tissant ainsi des liens étroits entre le monde du spectacle et ceux de la recherche et des nouvelles technologies. Ainsi le spectacle de Roland Auzet et du Cirque du Tambour répondait-il précisément à la démarche de l'IRCAM visant de nouveaux publics. Ce compositeur percussionniste virtuose a mené en Bourgogne une expérience avec des artistes du cirque qui l'a conduit à mêler arts du cirque, nouvelles technologies et musique. Les compositeurs programmés par Agora étaient autant des familiers de l'outil informatique que des novices. Yan Maresz offrait sa première partition scénique, Al segno, ballet mettant en jeu l'informatique en temps réel et écrit en association avec François Raffinot, chorégraphe en résidence à l'IRCAM, et Emmanuelle Vo-Dinh. Si la partition de Maresz est passionnante, la chorégraphie ne présente guère d'intérêt. Apôtre du théâtre musical, Georges Aperghis s'est pour la première fois laissé convaincre d'utiliser l'informatique pour Machinations, qui mêle les voix de quatre femmes à celle de l'ordinateur. Autres concerts majeurs, le cycle complet des Lichtung du Portugais Emanuel Nunes et l'intégrale des quatuors à cordes de Pascal Dusapin par le Quatuor Arditti.

Le festival de musique contemporaine Les Musiques, fondé à Marseille en 1994, irrigue tous les lieux de la cité phocéenne aptes à accueillir concerts et spectacles. La thématique de la manifestation marseillaise est séduisante et ouverte, à l'image de son fondateur, le compositeur Georges Bœuf, et de son directeur, Raphaël de Vivo, plasticien musicien dans l'âme. Deux ou trois rendez-vous par jour, tel est le quotidien du Festival. À La Minoterie, Théâtre de la Joliette, était proposé un spectacle original, riche et festif autour du traitement de la voix « musicalisée » conçu et réalisé par les musiciens Richard Dubelski et Georges Appaix sur des textes de Patrick Champagne et Jacques Rebotier. Cinq musiciens-comédiens-danseurs, parmi lesquels les compositeurs eux-mêmes, jouaient goulûment des mots, de leur corps, de leur voix et d'instruments, le tout suscitant une musique étonnante de dynamique, d'inventivité, les mots étant guidés par les artistes via une caméra numérique captant gestes et mouvements des corps vers l'outil informatique « live ». Un autre spectacle, donné dans une manufacture de tabac désaffectée opportunément dénommée « Friche la Belle-de-Mai », formait diptyque puisque associant deux opéras de chambre, l'un déjà un classique du xxe siècle, Syllabaire pour Phèdre, créé voilà quelque vingt-cinq ans, l'autre récent, la Source des images ou Narcisse exaucé. Réunies sous le titre générique « les Miroirs trompeurs », ces deux œuvres, qui requièrent des effectifs comparables, sont des avatars du théâtre musical. La première, qui concentre en trente-cinq minutes les derniers instants de Phèdre, est du plus grand Maurice Ohana, avec son écriture vocale polychrome et son orchestre rutilant. La seconde, conte lyrique illustrant les divagations de Narcisse se mirant dans l'eau planté sur son rocher et que vient narguer Écho, qui se démultiplie, est plus ordinaire, le traitement de la voix étant étale et l'écriture instrumentale monochrome. La mise en scène de Pierre Barrat est désuète, mais les œuvres sont remarquablement servies par la direction de Christian Hayrabedian et l'interprétation de Musicatreize, qui célèbre ses treize ans de carrière avec autant de créations.