Marché de l'art : montagnes russes

Une alternance de coups d'éclat et de semi-échecs, de ventes à succès où tout s'adjuge plus cher que prévu et d'autres à plus de 60 % de « ravalos » : l'année 1993 du marché de l'art apparaît en forme de montagnes russes. Mais sans fiascos complets, ce qui est, après tout, bon signe.

Ces hauts et ces bas sont dus moins à la qualité d'une vente qu'à sa forme. S'agit-il d'un collectionneur réputé, de la succession d'un prince, ou d'une star internationale, voire d'un grand marchand ? L'événement est bien médiatisé, et le succès assuré. En revanche, une collection anonyme ou une vente montée à partir de provenances diverses ne récolteront que des enchères molles et une foule d'invendus.

Le mobilier, de Boulle à l'Art déco

Exemple éloquent, en juin 93, de deux ventes successives de mobilier xviiie siècle, dirigées par Me Tajan, au George-V. La vacation anonyme du 7, malgré une belle commode de Cressent à 2,8 millions de francs, « ravala » à 60 %. Le lendemain, la collection de Mica Salabert, célèbre mondaine des années 30, connut le succès à quasiment 100 % ! Un enthousiasme encore plus grand avait accueilli trois mois plus tôt, de Monaco à Cap-Ferrat, le contenu de la villa d'Ilhamy Hussein Pacha, avec 8 millions pour une paire de commodes Régence du même Cressent, et une foule de bibelots sans valeur apparente, adjugés cinq ou six fois leurs estimations. Broutilles en regard des 95 lots de la vente Hubert de Givenchy, dont Christie's espérait 100 millions de francs, le 4 décembre à Monaco, et qui en a finalement totalisé... 155. Et consacré le triomphe de la marqueterie de Boulle, avec un exceptionnel bureau plat à six pieds adjugé 17 millions de francs (18,870 millions de francs avec les frais) à un amateur d'outre-Atlantique, et 10 millions de francs payés par un autre pour une bibliothèque basse de Lavasseur.

Autre gagnant de la saison, sur une échelle bien plus modeste : le mobilier Charles X, dont les formes gracieuses, la blondeur et la simplicité de bon aloi séduisent les acheteurs italiens, toujours présents sur le marché, qui ont assuré, en début d'année, le succès de deux ventes de Me Picard, avec, entre autres, un ensemble de 12 chaises et deux fauteuils en érable poussés à 590 000 francs sur une estimation de 150 000/200 000 francs. Longtemps mal-aimés, les sièges anciens semblent d'ailleurs retrouver la faveur des amateurs. Ils furent en tout cas les seuls à connaître un franc succès lors de la vente des réserves de l'antiquaire Bernard Steinitz à Saint-Ouen, à la mi-novembre, même chers (2,9 millions de francs six chaises et douze fauteuils Louis XV, de Heurtaut) et même à l'état de carcasse (360 000 francs le squelette d'un canapé Louis XV), chaque fois à des particuliers.

Autre vedette de la saison, toujours à Paris : le mobilier Art déco. Dont les rares ventes spécialisées comptaient pourtant, l'année précédente, plus de 60 % d'invendus et des prix en baisse de plus de 30 %. En avril, toutefois, la vente du marchand et collectionneur Michel Souillac a connu un succès enthousiaste et des prix largement supérieurs aux très prudentes estimations. Avec un sommet à 1,8 million de francs pour un bureau de Pierre Chareau. Mais le marché reste fragile. Deux mois plus tard, la vente d'un autre marchand, Jean-Claude Brugnot, fut plus difficile, avec 33 % d'invendus et des enchères au ras des estimations.

La peinture sur ses réserves

Des invendus, on en compte toujours beaucoup dans le domaine des tableaux modernes. Nettement moins que l'an dernier pourtant, grâce à des estimations largement revues à la baisse par les experts, et surtout aux prix de réserve raisonnables acceptés désormais par les vendeurs, contraints de se soumettre à la réalité du marché (revenu, dit-on, à son niveau de 1986-87). Résultat : un semblant de sursaut du marché new-yorkais, pouvant inciter à l'optimisme, et de fortes enchères bien réelles, prouvant qu'il existe toujours quelques grands amateurs disposés à payer très cher une œuvre très rare.