Le premier gouvernement transitoire mis en place par les accords de Peshawar et conduit par le président Modjaddedi a passé la main, le 28 juin (comme le prévoyait le compromis) au professeur Rabbani, le leader du Parti Jamiat, qui a nommé Massoud ministre de la Défense. Rabbani a été reconduit dans ses fonctions jusqu'au 15 décembre, et la présidence pourrait ensuite passer aux mains de Gailani (proche de l'ancien roi Zaher Shah) dans l'attente de la réunion d'une choura (assemblée traditionnelle rassemblant chefs religieux, chefs de tribus et chefs de guerre de chacun des 212 districts). Cette choura pourrait alors nommer un nouveau gouvernement. Mais la réunion de cette grande assemblée, prévue initialement pour le 10 décembre à Kaboul, a dû être repoussée sine die, en raison des difficultés de transport (cols bloqués par la neige en hiver) et de la persistance des combats dans la capitale. Les différents gouvernements intérimaires qui se sont succédé depuis avril ont en effet – au mieux – contrôlé un quartier de la capitale. Certaines zones de Kaboul, notamment les faubourgs et le quartier de l'aéroport sont, depuis plus de neuf mois maintenant, de véritables champs de bataille.

Car les retournements d'alliance se sont multipliés au cours de l'année. La rivalité quasi viscérale du commandant Massoud et de Gulbuddin Hekmatyar (chef du Hezb-I-Islami, les fondamentalistes « durs ») a alimenté les combats du mois de mai jusqu'à la première trêve (25 mai) prévoyant un cessez-le-feu et des élections dans un délai de six mois, puis surtout la « seconde bataille de Kaboul » qui a fait rage pendant tout le mois d'août (2 000 morts, 9 000 blessés, l'exode de plus de 500 000 personnes, soit la moitié de la population de la capitale) jusqu'au cessez-le-feu du 29 août.

Dans cet Afghanistan, véritable patchwork ethnique, des rivalités tribales et religieuses viennent renforcer les différends politiques. Jusqu'au coup d'État communiste de 1978, les Pachto régnaient en maîtres depuis plus de deux cents ans sur le pouvoir central. L'homme fort du régime procommuniste de Kaboul, Najibullah, était lui-même un Pachto. Mais les années de résistance ont inversé les rapports de force. Les Pachto, qui ne représentent plus que 40 % de la population, ont très mal accepté le fait qu'un Tadjik (le commandant Massoud) allié à un Ouzbek (Dostom) prenne le pouvoir à Kaboul. La lutte sans merci que se livrent Hekmatyar (pachto) et Massoud (tadjik) trouve donc ses fondements dans ces luttes de clan ancestrales. Les différentes écoles religieuses expliquent également pourquoi, par exemple, le Wahdat (chiites pro-iraniens) livre combat aux hommes de Sayyaf (sunnite prosaoudien).

Ce nouveau bourbier afghan encourage les jeux d'influence des puissances voisines, en premier lieu l'Iran et le Pakistan, mais aussi l'Arabie Saoudite. Téhéran soutient les chiites hazaras du Parti Wahdat et, plus discrètement, les autres minorités persanophones, Tadjiks et Ouzbeks, pour faire contrepoids au Pakistan. Islamabad et Ryad s'appuient sur les Pachto. Chaque puissance a également ses hommes au sein du gouvernement intérimaire afghan.

Gulbuddin Hekmatyar, leader fondamentaliste du Hezb-I-lslami d'origine pachto, affirme en mai 1992 : « Il n'y aura pas d'effusion de sang en Afghanistan, il n'y aura pas de révolutions militaires, et les élections seront à l'avenir la seule façon de changer de gouvernement. »

Ahmed Shah Massoud, leader d'origine tadjik du Parti Jamiat, déclare en septembre 1992 : « La guerre est un mauvais remède. Mais il faut parfois se résoudre à le boire jusqu'au bout. »

Bilan de 14 années de guerre : 1,5 million d'Afghans sont morts, 5 millions ont fui à l'étranger.

Le général ouzbek Rachid Dostom, en mai 1992 : « Nous voulons un État fédéral, à l'image des États-Unis ou du Pakistan. Depuis le début, on m'a accusé de vouloir la partition de l'Afghanistan. Il n'y en aura jamais. Nous la combattons. »

Premier bilan

La République islamique existe officiellement en Afghanistan depuis 1990, mais il ne s'agissait que d'un habillage visant, sans succès, à rallier les moudjahidin. L'une des premières mesures du gouvernement transitoire a donc été, le 8 mai, l'instauration des lois islamiques, qui interdisent la consommation d'alcool et obligent les femmes à se voiler. Cette dernière mesure a provoqué un véritable bouleversement pour les habitantes de la capitale habituées, sous le régime communiste, à travailler et à évoluer tête nue et vêtues à l'occidentale.