Journal de l'année Édition 1990 1990Éd. 1990

Point de l'actualité

La réforme du Code pénal

La France se prépare à abolir son Code pénal. Des cinq codes que Napoléon avait décidé de donner au pays, l'un – le Code d'instruction criminelle – a disparu en 1959, remplacé par un Code de procédure pénale ; deux autres sont en piteux état : le Code de commerce perd ses articles, abrogés et remplacés peu à peu par des lois non codifiées, et le Code de procédure civile est progressivement dévoré par un Nouveau Code de procédure civile. Restent intacts, mais plus ou moins profondément modifiés depuis leur promulgation, le Code civil et le Code pénal, qui datent respectivement de 1804 et de 1810.

Un Code « médiocre »

Considéré comme l'un des fruits de la Révolution, admiré par Stendhal, célébré dans les écoles primaires, le Code civil est devenu un monument vénérable auquel on n'apporte plus que des retouches sans oser songer à l'abattre. Le Code pénal, en revanche, n'inspire pas un tel respect. Par l'effet d'une comparaison machinale avec le Code civil, on a pris l'habitude de dire qu'il est « médiocre ». Sous la IIIe République, il avait été menacé par deux projets de réforme. Le premier (de 1894) s'était empêtré dans les lenteurs de la procédure parlementaire, et le second (de 1934) avait été oublié dans les tourments de la guerre.

Le Code pénal atteignit donc son cent-cinquantenaire. En 1960, on lui fit une grande fête, alors qu'il ne ressemblait plus guère à ce qu'il avait été en 1810 car de très nombreux textes (lois, décrets-lois, décrets ou ordonnances) l'avaient profondément remanié. À ce moment, on le croyait sauvé ; mais le bouillonnement rénovateur qui inspira M. Giscard d'Estaing dans les premiers mois de son septennat ne l'épargna pas. Une commission de révision fut instituée dès le 8 novembre 1974, et le garde des Sceaux annonça qu'elle aurait achevé ses travaux dans l'année. En juillet 1976, elle ne livra pourtant que ceux qui affectaient la partie dite « générale » du Code, celle qui dresse la liste des peines, pose les règles communes à toutes les infractions (tentative, complicité...), définit les causes d'exonération (démence, légitime défense...), et que l'on oppose à la partie « spéciale », qui décrit une à une les centaines d'infractions (meurtre, viol, escroquerie...).

Le texte de 1976, modifié en 1978 pour tenir compte de divers avis, était assez étonnant : il évitait les termes « peine » et « responsable », car ses auteurs pensaient que la réaction d'un État laïc à la délinquance ne devait pas reposer sur le présupposé de la responsabilité individuelle ou sur celui du libre arbitre et qu'elle devrait consister en des « sanctions » adaptées à des projets pragmatiques, comme la réadaptation.

L'accueil des spécialistes, comme celui du garde des Sceaux, M. Peyrefitte, fut très hostile. Ce dernier fit même voter des textes d'inspiration très contraire à celle du projet : la loi du 22 novembre 1978, qui institua la période de sûreté, minimum incompressible des peines d'enfermement, et la célèbre loi « Sécurité et liberté » du 2 février 1981, dont la préparation et le vote donnèrent lieu à d'intenses polémiques entre la droite et la gauche.

Après le changement de majorité en 1981, M. Badinter donna à la Commission de révision un signe d'encouragement très appuyé, puisqu'il en devint le président. Cette nomination, décidée au moment de la suppression de la Cour de sûreté de l'État et de l'abolition de la peine de mort, alors que les passions politiques étaient vives, eut un inconvénient : la Commission passa d'autant plus facilement pour un instrument de la nouvelle majorité que ses productions de 1976 et de 1978 avaient déplu aux conservateurs. Cette donnée, depuis lors, n'a pas cessé de marquer l'évolution de l'affaire.

Après 1981, la partie générale du nouveau projet fut remaniée de façon à réintroduire les termes « peine » et « responsabilité », trop légèrement répudiés, mais l'idée fut conservée que la meilleure des politiques criminelles était celle qui confiait au juge de larges pouvoirs d'individualisation de la peine. La Commission publia son texte en juin 1983 puis le retoucha encore une fois, de telle façon que le Premier ministre put, le 20 février 1986, déposer devant le Sénat un « projet de loi portant réforme du Code pénal ». On y trouve non seulement la partie générale du Code mais aussi deux « livres » de sa partie spéciale : ceux qui traitent des « crimes et délits contre les personnes » et des « crimes et délits contre les biens ».