Quand le Congrès se sépare le 10 juin, il a un bilan remarquable à son actif. Pour la première fois dans l'histoire de l'Union soviétique, il a élu un véritable chef d'État, le président du Soviet suprême, qui est naturellement Mikhaïl Gorbatchev. Il a aussi élu le Soviet suprême ; enfin, il a montré au pays qu'il était en passe de devenir une institution vraiment représentative. Son émanation, le Soviet suprême, ne pourra plus retomber dans l'ornière de l'irresponsabilité. Ses débats, télévisés comme ceux du Congrès, porteront sur l'examen de toutes les candidatures gouvernementales, sur les lois en préparation et sur toutes les options. L'URSS médusée verra des parlementaires soudain convaincus de leurs responsabilités, soumettre à la question un ministre, l'accuser d'incompétence, voire le renvoyer.

Deux événements témoignent du progrès du parlementarisme. Tout d'abord, la création, au sein du Soviet suprême, du Groupe interrégional, qui rassemble, autour de Sakharov, d'Afanassiev (tous deux non élus au Soviet suprême), et d'Eltsine (qui en est membre), les députés qui veulent accélérer le cours des réformes. Une véritable opposition parlementaire naît ainsi. Ensuite, lorsque le Congrès des députés du peuple se réunit à nouveau en décembre, le vote sur la possibilité de débattre du rôle dirigeant du Parti, hautement réclamé par les libéraux à la suite de Sakharov, permet de mesurer l'importance de ce courant. Certes, le Congrès se prononce contre un tel débat, mais la minorité vaincue est considérable. Plus de 800 députés y étaient favorables, c'est-à-dire plus du tiers de l'assemblée. La question du rôle dirigeant du Parti ne pourra plus être évitée et Gorbatchev doit s'engager à la soumettre au plénum du Comité central au début de l'année 1990. Le pluralisme dont témoigne le vote du Congrès existe même au sein du Parti où les clivages s'approfondissent entre partisans de réformes radicales et partisans d'une stabilisation interne. Entre l'extrémisme novateur de Boris Eltsine et la prudence d'Egor Ligatchev, la distance est telle qu'elle justifierait la division du Parti en deux organisations distinctes.

L'union menacée

À la disparition du monolithisme politique correspond la détérioration rapide du fédéralisme soviétique. Si, en 1988, la protestation nationale se traduisait en affrontements interethniques, surtout au Caucase et en Asie centrale, 1989 est marqué par une politisation des revendications. Dans toutes les républiques, des Fronts populaires ont été instaurés et une coordination de ces Fronts commence à fonctionner. De certaines républiques, pays Baltes et Géorgie, monte une revendication de nature séparatiste que la Lituanie a le plus clairement articulée. Dans ces républiques, où drapeaux et hymnes nationaux ont repris leur place, en contradiction avec la Constitution soviétique, les Fronts populaires affirment le droit à user des possibilités constitutionnelles d'autodétermination. Les États baltes le proclament d'autant plus vigoureusement que l'existence du protocole secret annexé au traité germano-soviétique de 1939, prévoyant l'inclusion des républiques baltes dans une sphère d'influence soviétique, est désormais reconnue en URSS. Protocole scandaleux et illégal, dont la dénonciation frappe de nullité, disent les Baltes, les événements qui en découlent, donc leur inclusion dans l'URSS.

Qu'à Moscou ce raisonnement soit récusé n'empêche pas les Fronts populaires d'exiger que le pouvoir soviétique reconnaisse l'illégitimité du rattachement des États concernés à l'URSS. Sur le même modèle, le Soviet suprême de Géorgie a proclamé à l'automne que l'invasion militaire soviétique de 1921 était en contradiction avec le traité soviéto-géorgien de 1918. Dans quatre républiques, le problème est posé d'un droit à la séparation lorsque l'union est fondée sur des actes internationalement illégaux. En attendant, les Fronts populaires et les autorités locales réclament un changement de la loi militaire qui établisse le caractère multiethnique de l'armée soviétique. Ils exigent que le service militaire ne soit plus effectué dans l'armée soviétique, mais au sein d'unités nationales cantonnées dans les républiques. Enfin, la Lituanie et l'Estonie proclament leur indépendance économique, la propriété de leurs ressources nationales et se dotent d'une monnaie propre.