Ramener la retraite à taux plein de 65 à 60 ans en 1984 n'a fait que sanctionner une évolution facilitée par les assouplissements apportés à la législation à partir de 1972, notamment par les possibilités de départ anticipé pour inaptitude (plus de 100 000 personnes en 1983). 58 % des salariés partaient déjà à la retraite avant 65 ans ; la réforme a profité aux cadres et aux chômeurs, mais elle permet aussi aujourd'hui à de plus en plus d'entreprises de réduire leurs effectifs en se débarrassant des salariés âgés, jugés « inaptes ». Commerçants, artisans, agriculteurs se sont alignés sur les salariés.

Ainsi a-t-on été amené à verser plus longtemps des pensions à des retraités plus nombreux. Mais ces pensions sont aussi plus élevées qu'autrefois : le montant de la retraite moyenne a ainsi augmenté de 36 % en francs constants de 1975 à 1986. C'est encore une fois le résultat combiné de réformes et d'une évolution « spontanée ».

Rattraper le retard

Vers 1970, la France, « sortie du sous-développement, y avait encore laissé ses vieux », comme l'affirmait le groupe d'études parlementaires sur le troisième âge ; près d'un tiers des retraités percevaient encore des allocations d'assistance du Fonds national de solidarité (Anne-Marie Guillemard, le Déclin du social, PUF, 1986.). Avec retard, dans les années 70, on a modifié le mode de calcul des retraites dans un sens plus avantageux : on a fixé la pension d'après le salaire des « dix meilleures années » de la carrière, pris en compte 37,5 années de cotisations au lieu de 30 (lois Boulin de 1972), accordé des majorations pour enfant (1974).

Ces modifications ont amplifié l'effet des fortes hausses de salaire survenues entre 1960 et 1973 et des « coups de pouce » donnés aux bas salaires par la suite ; elles ont majoré l'effet de l'allongement des carrières prises en compte à mesure que le système de sécurité sociale « vieillissait ». Au départ, il n'avait pas validé tout le passé des retraités, comme l'ont fait au contraire les régimes complémentaires.

Enfin, de nouvelles modalités de revalorisation annuelle des pensions, collant à l'évolution des salaires bruts jusqu'en 1983, ont contribué encore à améliorer leur montant moyen ; de 1975 à 1986, selon le CERC, celui-ci a augmenté de 36 % en francs constants. Tout cela a pu faire du début des années 80 ce que l'économiste André Babeau a appelé un « âge d'or des retraites » (André Babeau, la Fin des retraites ? Hachette Pluriel, 1985.). En tout cas, la France des retraités a cessé de s'identifier à la France pauvre, même s'il reste des retraités modestes. En témoigne, entre autres, le développement de leur consommation. Les retraités qui continuent à épargner, ont acquis un patrimoine plus important que celui des actifs (d'autant qu'avec l'allongement de la durée de vie on n'hérite parfois de ses parents qu'à la veille de son départ à la retraite)...

Le choc du chômage

Or, tandis que montait le nombre des retraités, le chômage est venu entamer le nombre des cotisants. Comme l'écrivait le démographe Jean-Claude Chesnais, l'augmentation de la population active a seulement suivi celle du chômage ; entre 1973 et 1986, malgré l'arrivée croissante des femmes sur le marché du travail, le nombre des « actifs occupés » n'a augmenté que de 250 000 environ, celui des chômeurs de plus de deux millions. Et, aujourd'hui, le premier, après avoir connu une croissance ininterrompue depuis la Libération, a plafonné, les nouveaux emplois se créant plutôt chez les travailleurs indépendants... Or, on évalue généralement à 1,5 milliard de francs par 100 000 chômeurs la perte de cotisations à l'assurance-vieillesse. Avec 2 500 000 demandeurs d'emploi, cela fait un manque à gagner d'une trentaine de milliards – le montant du déficit probable de l'assurance-vieillesse en 1989 !

Le chômage a aussi contribué indirectement à réduire la population en activité, en renforçant l'effet de l'allongement spontané de la scolarité et en retardant l'entrée au travail ; la crise économique rend plus difficile l'accès à l'emploi et pousse les jeunes à prolonger leur formation, pour mettre le maximum de chances de leur côté. En y ajoutant la multiplication des « préretraites », on perd des deux côtés. Tous les régimes voient diminuer le « rapport démographique » entre cotisants et retraités.