Il n'est pas sûr qu'en agissant autrement les gouvernements soient suivis par les organisations patronales et syndicales, ou par l'opinion en général, dont ils entendent les appels. Le patronat a pour souci premier la production, et l'immigration permet de disposer de travailleurs moins exigeants et plus mobiles. Il est enclin néanmoins à évaluer les charges sociales de toutes sortes qu'entraîne la présence d'étrangers. Dans le débat non résolu entre économistes sur le bilan coût-bénéfices des mouvements migratoires il regarde plutôt du côté des coûts.

Les ouvriers trouvent aussi leur avantage à l'immigration, les nationaux pouvant quitter les postes moins qualifiés et constituer une sorte d'aristocratie au sein du prolétariat. Mais, en cas de crise, et si le chômage menace, l'ouvrier reproche aisément à l'immigrant de prendre sa place. Un véritable protectionnisme ouvrier latent ne peut être ignoré. Les syndicats, sensibles aux réactions de la base, font souvent preuve d'une grande réticence à l'égard de l'immigration, quitte à œuvrer en faveur des étrangers une fois qu'ils sont là et à ajouter leurs revendications aux leurs.

Ainsi se développent dans la population des attitudes composites, nées de réflexes parfois contraires. D'un côté, les groupes dirigeants peuvent admettre la nécessité de l'immigration et même la favoriser, mais redoutent d'instinct la présence d'un corps étranger au sein de la nation. D'un autre côté, les partis avancés, le monde ouvrier, se refusent à faire des distinctions suivant la nationalité, mais craignent directement la concurrence d'une main-d'œuvre moins exigeante. Ainsi, pour chacune des deux grandes tendances de l'opinion, il y a conflit entre les intérêts et les sentiments, et le problème de l'immigration, par ses dimensions théoriques et affectives, se situe d'emblée au cœur du combat politique.

Le changement de majorité issu des élections de 1981 provoque une orientation nouvelle de la politique gouvernementale, non exempte non plus de variations. Après la vague de régularisation des clandestins et la suppression du dispositif précédent d'aide au retour, diverses mesures sont prises pour rechercher un cadre bilatéral pour la réinstallation de ceux qui souhaiteraient rentrer dans leur pays d'origine, et surtout pour insérer davantage les étrangers présents dans la vie collective, par des programmes sociaux à l'intention d'eux-mêmes et de leur famille, et par leur représentation au sein d'instances sociales. En même temps, on s'efforce de contrôler le flux des entrées.

Telles sont, schématiquement esquissées, quelques-unes des options prises par le gouvernement socialiste qui se manifestent fortement au cours de 1985, au gré des circonstances, et provoquent des réactions divergentes de plus en plus marquées.

1985 : repères chronologiques

Janvier : à la suite de décisions prises en octobre 1984 au Conseil des ministres, le gouvernement publie une circulaire (J.O. du 14 janvier) précisant les règles strictes de la procédure d'introduction en France des membres de la famille des ressortissants étrangers.

Le nouveau président de l'Office national d'immigration, (ONI) s'attend pour 1985 à l'arrivée à ce titre du même nombre de personnes qu'en 1984, soit environ 40 000, concernant 20 000 familles. Par ailleurs, il estime, à la fin de février, que 20 000 travailleurs immigrés et leurs familles, soit 50 000 personnes, devraient quitter volontairement la France en 1985, dans le cadre d'accords passés entre leur pays et l'ONI. La différence donnerait un solde migratoire pour l'année légèrement négatif, indépendamment de l'introduction de nouveaux travailleurs, en nombre probablement limité.

21 mars : un Marocain est tué à Menton (Alpes Maritimes) et une manifestation est organisée dans la ville quatre jours plus tard. Le 26, l'association SOS-racisme, qui a déjà diffusé un demi-million de badges « anti-racistes » (une main ouverte avec l'inscription « Touche pas à mon pote ») lance une journée nationale d'action.