Hervé Jannic

Automobile

La France à contre-voie

Jamais peut-être la France n'a paru aussi isolée dans le concert automobile mondial qu'en cette année. Au moment où le Grand Palais célèbre avec éclat 100 ans d'automobile française, Renault et le groupe Peugeot-Talbot-Citroën reculent sur les marchés européens face à une concurrence qui redouble d'intensité. Leurs difficultés financières amputent ou ajournent leurs programmes d'investissements. Désemparés, paralysés par leur sous-productivité, secoués de surcroît par des mouvements sociaux, ils se voient l'un et l'autre contraints d'accepter les subsides des pouvoirs publics par l'entremise du nouveau Fonds industriel de modernisation (1,5 milliard de F leur sont distribués en 1984). Ils sont cependant loin de suffire. Si le groupe Peugeot poursuit son redressement grâce au succès de ses nouveaux modèles et surtout de ses efforts internes, Renault frôle la catastrophe. Les résultats financiers sont les plus mauvais depuis plus de vingt ans.

Jacques Calvet prend les commandes chez Peugeot

Le 4 septembre, Jean-Paul Parayre, X-Ponts et Chaussées, qui occupait depuis sept ans le poste de président du directoire de Peugeot SA la holding du numéro deux de l'automobile française, est remplacé par Jacques Calvet, entré dans le groupe en juin 1982. À sa demande, l'ancien haut fonctionnaire du ministère de l'Industrie, qui, en 1978, nouvellement appelé à prendre la succession de François Gautier, avait signé le rachat des filiales européennes de Chrysler, est démis de ses fonctions. Le conseil de surveillance du groupe rend hommage à « la contribution essentielle que J.-P. Parayre a apportée dans tous les domaines, et spécialement dans celui de la politique industrielle et des modèles où les actions engagées portent dès maintenant leurs fruits ».

Sans pouvoir tirer profit des actions engagées après avoir rationalisé le dispositif industriel des trois marques (Peugeot, Citroën et Talbot), mis au point une banque d'organes mécaniques, lancé les 205 et les BX, supprimé depuis 1978 quelque 55 000 emplois (dont 35 000 en France), Jean-Paul Parayre, 47 ans, préfère se retirer. Pour cause de désaccords profonds sur la politique conduite par Jacques Calvet à la tête des deux filiales Automobiles Peugeot (qui contrôle Talbot) et Automobiles Citroën. Ce faisant, la famille Peugeot, toujours principal actionnaire du groupe, (avec, dit-on, environ 40 % du capital) accorde les structures à la réalité du pouvoir en laissant l'ancien président de la BNP et ex-conseiller rue de Rivoli de Valéry Giscard d'Estaing prendre la direction effective. Il est vrai que Jacques Calvet s'était attaqué de front aux sureffectifs chez Talbot d'abord, puis chez Citroën face à des pouvoirs publics qui ne cessaient de multiplier les manœuvres dilatoires. Ancien de l'ENA, conseiller référendaire à la Cour des comptes, J. Calvet, 57 ans, homme de caractère et de décision, va devoir désormais en priorité rétablir la santé financière d'une firme qui, ces quatre dernières années, a perdu 8,3 milliards de francs.

Relance hors Hexagone

Le marché français est le seul parmi les grands pays industriels où la production et les ventes régressent. La crise s'estompe partout, sauf dans l'Hexagone. Aux États-Unis, la forte relance amorcée en 1983 se confirme. Dès le premier semestre, les trois grands de Detroit — General Motors, Ford et Chrysler — dégagent 6,5 milliards de dollars de bénéfices nets, plus que pour l'ensemble de l'année écoulée (6,1 milliards). Les syndicats groupés au sein de l'UAW acceptent de faire preuve de modération pour le renouvellement de leur convention salariale triennale. Et l'administration Reagan prolonge le filet protecteur à base de quotas pour contenir le déferlement des marques japonaises. À l'abri d'une réglementation taillée à leur mesure, les constructeurs américains peuvent redéfinir une stratégie de reconquête mondiale en s'associant notamment avec les Japonais ou les Sud-Coréens.

Réengageant leurs profits records dans leur sanctuaire national, les Américains peuvent aussi prendre le risque, sur le Vieux Continent, de déclencher une bagarre commerciale sans merci pour s'assurer le leadership. General Motors (dont la nouvelle Opel Kadett est, début décembre, sacrée voiture de l'année) et Ford bousculent les marques françaises en les attaquant sur leurs points forts : les modèles de faible et moyenne cylindrées. Fiat, replié sur ses bases européennes, supporte mieux le choc grâce à ses modèles Uno, Ritmo, Panda et aux fantastiques gains de productivité réalisés au cours des années précédentes. Les marques allemandes Mercedes, BMW et Porsche — à la seule exception de Volkswagen — sortent sans trop de mal des cinq semaines de grèves des métallurgistes et, grâce à leurs exportations vers les États-Unis, consolident leurs situations financières.