Les milieux d'affaires eux n'ont jamais mâché leurs mots vis-à-vis de la politique économique ultralibérale où Pinochet a lancé le pays. L'échec des élèves de l'économiste américain Milton Friedman, maître de l'école monétariste de Chicago, a porté un rude coup au prestige d'Augusto Pinochet. Outre le chômage, l'inflation et la baisse des cours du cuivre, le Chili doit aussi assumer une dette extérieure de quelque 20 milliards de dollars et subir les exigences du FMI.

Pour rétablir la confiance, Pinochet écarte les Chicago boys des leviers de commande du pays. Le ministre de l'Économie Carlos Caceres quitte son poste. Mais le soutien des milieux financiers reste fragile, d'autant que les conseillers monétaristes restent influents dans les coulisses.

L'opposition divisée

Sur le plan politique, l'habile ministre de l'Intérieur et coordinateur du gouvernement, Sergio Onofre Jarpa, a joué astucieusement des dissensions de l'opposition. En engageant le dialogue avec les modérés, il révèle les positions incompatibles des différents partis chiliens. Ceux-ci se divisent en trois groupes : d'abord l'Alliance démocratique, dominée par la puissante Démocratie chrétienne de Carlos Valdes et qui comprend également l'aile social-démocrate du Parti socialiste et certaines formations de droite ; ensuite, le Bloc socialiste, qui rassemble le Parti socialiste traditionnel et les chrétiens de gauche ; enfin le Mouvement démocratique populaire, animé par le Parti communiste, allié à l'aile gauche du PS et aux extrémistes du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR). Il apparaît clairement au cours de l'année que la nouvelle stratégie du PC, dite de « rébellion populaire », gêne considérablement les autres partis — notamment la DC — qui refusent le recours à la violence. Le PC, lui, a joué un rôle majeur lors des dernières protestas, et les nombreux attentats et sabotages commis tout au long de l'année ont été revendiqués par le Front Manuel Rodriguez, considéré comme l'aile armée du PC.

Face à cette situation, le général Pinochet, qui se croit plus que jamais en croisade contre le marxisme-léninisme athée, a brutalement fermé la porte aux espoirs de démocratisation rapide de la vie politique qu'il avait, un moment, laissé entrevoir. Il sait qu'il peut compter sur l'armée, qui lui est dans son ensemble fidèle, et sur un appareil répressif bien rôdé, dirigé par les spécialistes de la Centrale nationale d'investigation (CNI), les services secrets du régime.

Les élections au Parlement restent fixées à 1989. S'il les gagnait, A. Pinochet pourrait rester en place jusqu'en 1997. Il se voit bien au pouvoir jusqu'à la fin du millénaire : il n'aura alors que 84 ans...

Jacques Buob