Amériques

De quelle Amérique parle-t-on ? Celle du Nord, qui a affirmé ses tendances conservatrices en 1984 et affiché une bonne santé insolente ? Celle du Sud, submergée par les difficultés économiques mais avançant dans la voie de la démocratie ? Ou celle du Centre, toujours dominée par le bruit des armes malgré de multiples négociations ? Difficile de les confondre, impossible de les séparer. S'ils appartiennent parfois à des mondes différents, les pays américains sont très dépendants les uns des autres.

Le Sud malade du Nord

1984 a consacré l'échec du libéralisme à l'américaine. Aux États-Unis comme au Canada, les élections se sont soldées par une éclatante victoire des conservateurs. Une reprise économique sans inflation a permis à Ronald Reagan de gagner un second mandat présidentiel, après avoir fait des émules à Ottawa. Dans les deux capitales, on a voulu enterrer l'État-providence et libérer l'initiative privée. Beaucoup d'Américains du Nord ont fini par se convaincre que le meilleur moyen d'affronter l'avenir était de retourner aux bons vieux principes traditionnels.

La démocratisation progressive des régimes autoritaires latino-américains s'est confirmée en 1984. Plusieurs pays sont sortis d'une longue nuit d'horreurs sans parvenir encore à croire qu'elle était finie. L'Argentine, qui compte un président élu depuis octobre 1983, est le cas le plus flagrant. Le Brésil a pris le même chemin en prévoyant une élection présidentielle au suffrage indirect pour janvier 1985. Démocratisation aussi dans des pays aussi divers que l'Uruguay et Panamá, où les citoyens se sont rendus aux urnes pour la première fois depuis de nombreuses années. L'Amérique centrale n'a pas échappé à ce mouvement, avec des élections au Salvador et au Nicaragua et la désignation d'une assemblée constituante au Guatemala...

Ce retour de balancier s'explique en partie par l'échec des militaires : incapables d'affronter la crise économique, ils ont tendance à céder le pouvoir aux civils, sous la pression de Washington. Mais cette démocratisation ne se fait pas sans heurts ; en 1984, l'armée s'est agitée en république Dominicaine ; le président bolivien a failli être renversé par des militaires. Et, comme s'il fallait absolument une exception pour confirmer la règle, la dictature s'est durcie au Chili avec le rétablissement de l'état de siège et l'arrestation de nombreux opposants.

Négociations

Autre tendance assez nette constatée sur le continent américain en 1984 : le désir de régler des conflits par la discussion. Sous les auspices du Saint-Siège, le Chili et l'Argentine ont mis un terme au différend territorial qui les opposait depuis un siècle dans le canal de Beagle. En Colombie, le gouvernement a réussi à conclure des cessez-le-feu successifs avec deux mouvements de guérilla.

Négociations également en Amérique centrale, où prévaut désormais le sentiment qu'aucun conflit ne peut être définitivement gagné par les armes. Le président salvadorien a rencontré au grand jour des dirigeants de la guérilla, tandis que le Nicaragua et les États-Unis multipliaient les contacts bilatéraux. Sans compter le groupe de Contadora (Colombie, Mexique, Panamá et Venezuela), qui a présenté un plan de paix global pour les pays de la région. Rien de tout cela n'a permis de diminuer la tension entre le Nicaragua et les États-Unis ou de faire cesser une guerre civile meurtrière au Salvador, mais l'année s'est achevée par une petite lueur d'espoir.

Endettement

De 1984, on retiendra enfin la coopération entre les pays latino-américains endettés. Une douzaine d'entre eux se sont réunis à plusieurs reprises pour adopter une politique commune face à leurs créanciers. Il ne s'agissait pas de supprimer les négociations individuelles mais de les inscrire dans un cadre général. Couverts de dettes, les pays latino-américains ont affaire à trois sortes de créanciers : des banques privées, des États et des organisations internationales. Mais leur sort se règle en grande partie à Washington, en raison de la suprématie du dollar, du poids des États-Unis au sein du FMI et du fait que ce pays abrite les principales banques ayant prêté de l'argent. Banques toutes-puissantes, mais pouvant être mises en péril par l'insolvabilité de leurs débiteurs, comme l'ont montré en 1984 les alertes survenues à la Continental Illinois et à la Manufacturer's Hanover.