Même si la situation sociale reste très calme en 1984, le gouvernement met en œuvre une sorte de Grand Dessein pour l'emploi. Le chômage a pu être stabilisé à un demi-million d'unités (512 174 personnes indemnisées, soit 12,2 % de la population active, au 30 septembre) ; il ne reste pas moins un important facteur perturbateur. On ne gouverne pas impunément avec 280 645 chômeurs flamands, 177 527 wallons et 54 002 bruxellois, avec un tiers de jeunes de moins de 25 ans au chômage, avec 17,5 de femmes actives sans emploi.

Le nouveau plan gouvernemental facilite les investissements dans les entreprises novatrices et porteuses de technologies nouvelles, mais il fait, en outre, appel à des méthodes nouvelles dans le secteur de l'emploi. Ce qui se traduit par l'apparition d'un vocable inédit dans le jargon politique belge, celui de la flexibilité. Flexibilité que l'assouplissement de la législation du travail et de ses protections trop rigides (préavis) ; flexibilité que la modération salariale (l'abandon d'une tranche d'augmentation des traitements de 2 % par an jusqu'en 1986) pour assurer à la fois la compétitivité des entreprises et une embauche compensatoire de nouveau personnel ; flexibilité que le travail à temps partiel ; flexibilité que l'interruption volontaire de carrière pour raison de recyclage ; flexibilité que la prime de retour aux immigrés non européens égale à une année d'allocation de chômage.

Le jeu des partis

La radicalisation communautaire et linguistique des socialistes — francophones comme flamands — effrayera-t-elle les autres formations ? Faute de partenaires, les socialistes seront-ils écartés du pouvoir, à l'issue des prochaines élections ? C'est la thèse du Premier ministre.

Wilfried Martens, il est vrai, peut s'appuyer pour ce faire sur la coalition au pouvoir, dont les ténors ont annoncé à maintes reprises qu'ils « remettraient ça » après les élections de 1985 et qu'ils attendaient de l'opinion qu'elle leur donne la force d'empêcher le retour des socialistes aux affaires. Avec un risque évident, celui d'une déstabilisation du pays si les socialistes (particulièrement en leur aile wallonne), ainsi exclus du pouvoir national, décident de se replier sur leurs terres régionales et d'y affronter systématiquement le pouvoir central.

La vie interne des partis aura aussi été marquée par les problèmes des chrétiens-démocrates, qui souffrent d'une difficulté d'être et d'identité, comme c'est souvent le cas pour des formations centristes en période de crise, d'autant que la bipolarisation gauche-droite s'esquisse.

Enfin, la présence à Bruxelles d'une nombreuse population immigrée accélère le réveil d'une extrême droite à la remorque de Jean-Marie Le Pen, qui cherche à créer une succursale en Belgique.

Péril communautaire

Le discours du roi lors de la fête nationale du 21 juillet marque les esprits. Baudouin Ier en appelle certes à l'union des Belges, ce qui est traditionnel, mais il exhorte à un « nouveau civisme », ce qui l'est moins. Nouveau civisme qui « ne veut pas gommer les différences », mais invite chacun à « apprendre à comprendre, respecter et apprécier l'autre ». Nouveau civisme qui veut « reconnaître ce qui nous unit et nous rassemble », le souverain n'hésitant pas à demander à ses concitoyens d'apprendre toutes les langues nationales.

Le problème communautaire reste cependant latent et le feu couve toujours. Parce que les critiques adressées à la réforme de l'État intervenue en 1980 et les difficultés de son application mettent en évidence une répartition incohérente des compétences entre l'État central, les trois régions et les deux communautés. Parce que beaucoup de problèmes économiques prennent une coloration linguistique, sous le signe du donnant-donnant et des jalousies entre régions. Parce que des points de frictions subsistent à Bruxelles, dans la périphérie de la capitale et aux Fourons, cette enclave francophone en terre limbourgeoise.

L'installation, le 1er octobre, de la Cour d'arbitrage, sorte de Cour suprême américaine ou de Conseil constitutionnel français, peut être un premier élément d'apaisement aux conflits de compétences et d'intérêts entre les Belges, leurs régions et leurs communautés. On n'échappera pas, cependant, à une nouvelle réforme de l'État, sans que l'on sache évidemment encore si l'on s'orientera vers une accentuation du fédéralisme, vers un retour à l'unitarisme ou vers une résurgence du mouvement régionaliste.

Les indicateurs économiques passent au vert

La reprise est là et on assiste à une augmentation de la production industrielle (+ 5 % pour les six premiers mois de 1984), à une très forte reprise des investissements, à une amélioration de la balance des paiements (déficitaire de 200 milliards de FB en 1980, elle ne le sera plus en 1984 que d'une vingtaine de milliards pour devenir excédentaire en 1985) et à un ralentissement de l'inflation qui retombe à moins de 6 %, pour la première fois depuis la grande dérive de 1980.