Depuis deux ans, 10 000 arrestations et 15 000 personnes ont disparu, selon Amnesty International. Des brigades spécialisées enlèvent, assassinent et torturent à toute heure. On aurait dénombré 40 enlèvements par jour, en décembre 1977. Magistrats, prêtres, syndicalistes, journalistes, scientifiques et universitaires sont des cibles privilégiées. Ceux qui, comme les deux religieuses françaises disparues les 8 et 10 décembre 1977, prennent fait et cause pour les familles des disparus, deviennent victimes à leur tour. Des pétitions portant jusqu'à 24 000 signatures demandent des enquêtes sur les disparus et la libération des prisonniers, le plus souvent privés de toute défense et détenus dans des conditions déplorables. Chaque jeudi, sur la place de Mai, devant le siège du gouvernement, des femmes se réunissent et pleurent silencieusement. Mais en vain. Certes, le général Videla admet l'existence d'excès dans la répression, mais il persiste dans sa volonté de détruire ce qu'il appelle le « virus de la subversion ».

Austérité

Martinez de Hoz, le ministre de l'Économie, qui avait pour principale préoccupation de stabiliser une inflation devenue galopante et de reconstruire une économie équilibrée y est effectivement parvenu. En 1977, balance commerciale et balance des paiements sont excédentaires, le déficit budgétaire a été ramené à 3 % du PNB, le taux d'inflation, de 160 % en 1977, pourrait se situer à environ 100 % en 1978. Ces résultats ont été obtenus par une politique d'ouverture des frontières et un encouragement systématique aux exportations traditionnelles (agriculture et industrie alimentaire), ce qui a avantagé une faible minorité de la population. Les petites industries, mal armées pour résister à la concurrence internationale, subissent le contrecoup de cette option libre-échangiste. Elles le subissent d'autant plus que l'heure est à l'austérité ; les salaires sont bloqués et, de ce fait, le marché intérieur s'effondre. Alors que 65 % des ouvriers gagnent moins de 40 dollars par semaine, leur pouvoir d'achat a baissé de 45 % en 1977 (rapport du GATT). Les faillites se multiplient. Les industries automobiles et sidérurgiques sont en crise.

Les grèves, interdites par la loi, se produisent néanmoins ; elles explosent spontanément dans de nombreux secteurs, et notamment dans la fonction publique (métro de Buenos Aires, électricité, chemin de fer), à l'automne 1977. Leur objectif : des augmentations de salaires. Certains mouvements durent parfois plusieurs semaines en dépit de l'intransigeance du gouvernement, qui n'hésite pas à arrêter les meneurs et à procéder à des licenciements massifs.

Consciente de la réprobation qu'elle suscite à l'étranger, la junte tente de ménager les grandes puissances. Elle s'aligne sur les positions américaines en ratifiant, le 21 novembre 1977, le traité de Tlatelolco sur la dénucléarisation de l'Amérique latine. Devenu le principal partenaire commercial de l'URSS — en lui fournissant le blé dont cette dernière a besoin —, l'Argentine se gagne la neutralité de Moscou lorsque le problème du respect des droits de l'homme est évoqué à l'ONU.

Raidissement

Les difficultés économiques et sociales font naître au sein même du gouvernement des dissensions sérieuses. La démission, le 30 décembre 1977, du général Ramon Diaz Bassone, ministre du Plan depuis 1976 et partisan d'une ligne dure (il est hostile à toute consultation électorale avant 1985), ne paraît pas suffisante à l'amiral Massera, le no 2 de la junte. Il ne fait pas mystère de ses réserves à l'égard des orientations du ministre de l'Économie, Martinez de Hoz, qu'il a pourtant cautionnées initialement. Le commandant en chef de la marine tient également à se désolidariser de certains excès qui ont pu être commis sur le plan politique. L'amiral Massera, en même temps, joue très adroitement de la corde nationaliste, toujours sensible ; il refuse l'application de l'arbitrage britannique du 2 mai 1977 sur les îlots de l'embouchure du canal de Beagle, que l'Argentine dispute au Chili ; cet arbitrage était applicable le 2 février 1978. Ce coup d'éclat est sans conséquence définitive, puisque les deux pays se déclarent, le 20 février, prêts à négocier, dans un délai de sept mois, le tracé de la frontière, dans la zone du canal.