Quelques mois auparavant, il avait laissé entendre dans un autre article que tous les problèmes dont dépendent la guerre et la paix avaient trop d'importance pour être laissés à la seule initiative des politiciens...
Dissidents
Remise au pas donc. Mais qui provoque pour l'instant moins de remous à l'extérieur que celle d'une intelligentsia de plus en plus mordante. Chef de file : le prix Nobel Andrei Sakharov, avec, pour caisse de résonance hors des frontières. Alexis Soljenitsyne bien sûr, mais aussi un nouveau réfugié vedette, Leonid Pliouchtch. Libéré au début de l'année de l'hôpital psychiatrique de Dniepropetrovsk à la suite d'une vaste campagne internationale à laquelle s'était en particulier joint le PCF, il arrive en France le 11 janvier 1976. Là, le mathématicien dénonce à plusieurs reprises l'enfer des camps d'internement.
Parmi les prisonniers : le biologiste Serge Kovaliev, condamné en décembre à 7 ans de camp de travail, Vladimir Ossipov, ancien rédacteur en chef d'une revue orthodoxe clandestine, condamné à 8 ans de la même peine, le mathématicien Vladimir Boukovsky (condamné en 1972 à 12 ans de prison), Andréi Tverdokhlebov, physicien ex-secrétaire d'Amnesty International, et le dissident tatar Mustapha Djemilev condamnés en avril respectivement à 5 ans d'exil et 30 mois de camp.
À la campagne menée en Occident en leur faveur, les autorités répondent par la voix de la Literatournaya Gazeta : « Aucun être sain d'esprit n'a jamais été jeté dans un asile » et le vice-ministre de la Justice Alexandre Soukharev affirme qu'il n'y a aucun procès politique ou religieux en URSS. Ce que, de Moscou même, démentent avec force des gens comme l'historien Andrei Amalrik (qui obtient en juin 1976 un visa de sortie), le physicien Youri Orlov ou Andrei Sakharov. Le père de la bombe H n'a pu aller en décembre à Oslo recevoir son prix Nobel de la paix. Depuis (et bien que l'encyclopédie soviétique ait publié sa biographie), il est l'objet de violentes attaques. On l'accuse d'être le « partisan de Hitler et de Pinochet ». Ce qui ne va pas sans rappeler ce qui avait précédé l'expulsion de Soljenitsyne.
Sur une population qui compte 255,5 millions d'habitants, ces dissidents ne représentent évidemment qu'une goutte d'eau, mais les journaux clandestins (les samizdat) qu'ils fabriquent et qui réapparaissent actuellement touchent un large éventail de gens.
Autre minorité, autres problèmes, les deux millions de Juifs. À leur propos, la IIe Conférence mondiale des communautés juives, tenue en février à Bruxelles (et qualifiée de « foire sioniste » par Moscou) demande aux autorités soviétiques de reconnaître et de respecter leurs droits. En particulier celui d'émigrer. En 1975, 11 700 Juifs seulement ont pu quitter l'URSS, alors qu'en 1974 deux fois plus étaient partis et en 1973 trois fois plus.
Mutinerie
En novembre 1975, une mutinerie aurait éclaté à bord d'un contre-torpilleur ultra-moderne de la flotte soviétique. Le Storojevoï avait participé aux cérémonies commémoratives de la Révolution, à Riga, et s'apprêtait à rallier son mouillage habituel de Leningrad. C'est alors qu'une partie des 250 hommes de l'équipage, à l'instigation de l'officier politique du bâtiment, aurait dérouté le navire vers les eaux territoriales suédoises. Vraisemblablement pour s'y réfugier. Mais, pris en chasse par des unités de la marine et de l'aviation soviétique, le Storojevoï était bombardé puis arraisonné. Selon le quotidien suédois Expressen, le navire aurait été ramené à Riga. Une cinquantaine de mutins auraient été emprisonnés, et les meneurs exécutés.
Pénurie
L'un des principaux sujets de préoccupation du Kremlin se situe néanmoins bien au-delà des minorités et des dissidents. Il s'agit de l'alimentation. Dès janvier, on apprend que le pain (dont chaque Soviétique consomme par an 140 à 150 kilos) manque dans plusieurs régions et que choux, oignons pommes de terre, fruits sont fréquemment introuvables dans les magasins d'État. D'où un marché noir de plus en plus actif : le kilo de pommes de terre atteint 4 roubles (23 F), celui du concombre ou des oignons 3 roubles (19 F), le kilo de tomates 10 roubles (62 F). Cela alors que le salaire mensuel moyen est de 130 roubles (800 F) à Moscou et de 70 pour l'ensemble du pays.