Si peu que ce soit, ce compromis écorne la règle de l'affectation au budget européen de ressources qui auraient dû échapper au contrôle des États, selon un principe considéré au départ par la France et ses partenaires comme intangible.

Boutiquiers

Concession française également sur la politique régionale. Après des années de tergiversations, les Neuf décident la création d'un Fonds régional européen, pour une période de trois ans à partir du 9 janvier 1975. Ils le dotent de 1,3 milliard d'unités de compte (soit environ 7,15 milliards de francs). La création de ce Fonds fait droit aux requêtes italienne et irlandaise, mais les modalités de son financement et de son fonctionnement marquent un sérieux recul par rapport aux visées initiales de la France.

Le Fonds n'est plus l'instrument d'une vaste politique régionale à l'échelle européenne, mais une caisse de péréquation au profit principal de quelques pays (Italie : 40 % ; Royaume-Uni : 28 % ; France 15 %) qui continuent pour l'essentiel à fixer eux-mêmes leurs propres politiques régionales. La part de la France y est très inférieure à celle de la Grande-Bretagne.

A propos du Commonwealth, une autre demande de la Grande-Bretagne concernait plus précisément la Nouvelle-Zélande, fournisseur privilégié du marché britannique en produits laitiers. Les Neuf ont admis qu'au début de 1977 (c'est-à-dire au-delà de la période transitoire d'élargissement de la CEE), la Nouvelle-Zélande puisse continuer à livrer son beurre en échappant partiellement au dispositif protecteur de la politique commune agricole.

Si l'on ajoute à ces décisions les dérogations particulières en matière d'aides directes accordées aux éleveurs britanniques lors des négociations sur les prix agricoles, on ne s'étonnera pas que H. Wilson soit revenu satisfait du Conseil européen de Dublin qui a marqué le terme de cette renégociation pourtant bien peu exaltante.

Abandon

En marge de cette négociation, la dureté des temps conduit les gouvernants à sacrifier dans leur programme tout ce qui n'est pas essentiel.

De grands projets sont réduits (le programme Concorde, par exemple, en accord avec la France) ou abandonnés. Quand il s'agit du troisième aéroport de Londres, l'affaire est sans conséquence diplomatique, mais quand il s'agit du projet franco-britannique du tunnel sous la Manche, les remous ne sont pas négligeables des deux côtés du Channel. La renonciation unilatérale survient en effet après ratification parlementaire et d'importants travaux et engagements financiers (560 millions de francs à la charge des deux gouvernements). Le gouvernement travailliste doit d'autre part faire face à des engagements (nationalisation de son industrie aéronautique), ou à des contraintes (sauver des firmes automobiles en difficulté, comme British Leyland, ou des sociétés pétrolières comme Burma Oil).

Sans avoir à faire face à des difficultés de cette nature, et pourtant dans la plus large aisance, la RFA se lasse d'être constamment sollicitée à Bruxelles. Qu'il s'agisse d'agriculture, de programme spatial ou d'actions régionales chaque pays défend d'abord ses propres intérêts. En matière aéronautique, dans l'affaire dite du marché du siècle, l'avion américain YF-16 l'a emporté également sur ses concurrents français et suédois.

Du souffle

Le temps est-il d'ailleurs aux grands desseins, aux grandes ambitions pour l'Europe ? Quel pays, quel homme politique pouvait estimer que l'heure des grandes initiatives était venue, alors que les décisions du sommet de Copenhague de la fin 1973 étaient restées lettres mortes, alors que planait l'hypothèque anglaise ? Par fonction mais aussi par conviction, un homme s'y risque, François-Xavier Ortoli, le président de la Commission. Le discours-programme qu'il prononce le 18 janvier devant le Parlement européen ne manque pas de souffle. Le constat de carence qu'il présente est sans complaisance. Sur l'essentiel nous rencontrons recul et échecs, déclare F.-X. Ortoli : recul de notre indépendance, rétrécissement de nos ambitions, semi-échec institutionnel.