À cet égard, L'âge d'or, présenté par le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, est un cas exemplaire. Dans l'immense hangar de la Cartoucherie transformé en montagnes russes, des foules attentives ont suivi cette démonstration magistrale, qui tenait à la fois de la Commedia dell'arte, des théâtres chinois et japonais, aussi bien que de l'agit-prop et du mime.

D'auteur, il n'y en a point, puisque cette première ébauche est le résultat de multiples improvisations essayées en commun par la troupe, mais disons que ce spectacle a une âme, et que cette âme a un nom. Renouvelant l'exploit des Clowns et de 1789, Ariane Mnouchkine se détache en tête de tous les créateurs contemporains, avec une sorte de génie fervent et engagé qui lui est propre. Dommage que l'expérience n'ait pas été poussée jusqu'aux limites de ses ressources et de ses possibilités, car si l'on a beaucoup admiré le travail des comédiens, la beauté des images, des mouvements, il est tout de même difficile de ne pas regretter qu'un texte digne du spectacle ne le soutienne de bout en bout.

Rigueur

Avec Les Iks, conçus et dirigés par Peter Brook, d'après un ouvrage de l'ethnologue anglais Colin Turnbull, la question ne se pose pas vraiment, puisqu'il s'agit de nous faire vivre de l'intérieur la mort lente d'une civilisation primitive, victime des ravages du progrès, déracinée, déshumanisée, anéantie. Toute littérature eut été en effet odieuse pour traiter un pareil sujet, et la rigueur de Peter Brook en a fait une cérémonie de constat presque abstraite et d'autant plus impressionnante. Mais, là encore, ne s'est-on pas engagé dans une impasse ? Comment aller au-delà sans tomber dans le procédé, ou la recherche pure, qui sera davantage du domaine du laboratoire que de celui du spectacle ?

Déjà, semble-t-il, Les Iks n'ont pas suscité dans le public l'adhésion unanime qu'avait valu à Brook, au début de l'automne, son remarquable Timon d'Athènes, également représenté dans ce vieux bastringue poétique et décrépit qui se nomme les Bouffes du Nord.

Utilisant avec une intelligence diabolique la vétusté des lieux, qui répondait idéalement au thème de la pièce, méditation sur la puissance de l'argent et l'ingratitude des hommes, P. Brook a sans doute atteint ici un des sommets de sa carrière contrastée. Il est vrai que dans cette œuvre collective il a en Shakespeare, très justement traduit par Jean-Claude Carrière, un collaborateur de choix, dont il n'a trahi ni le texte ni les intentions, malgré le dépouillement extrême de sa mise en scène.

Hyperréalisme

On ne peut pas en dire autant de l'Italien Mémé Perlini, qui a montré à Nancy, puis à l'Espace Cardin les étranges tableaux que lui a inspirés Othello. Son invention, constante mais un peu canularesque et tape-à-l'œil, est à l'hyperréalisme ce que Bob Wilson est au surréalisme. Il n'empêche que ce nouveau talent fellinien, tonitruant, mérite l'attention ; on se doit de le signaler, ne serait-ce que pour prendre date.

Et puisque nous évoquons Bob Wilson, il faut rappeler qu'il a également présenté cette année sa Lettre à la reine Victoria, où son univers sudiste et magique exerce toujours ses sortilèges, bien que l'effet de choc n'agisse plus avec autant de force qu'il y a quatre ans, quand on a découvert Le regard du sourd et ses miraculeux prolongements imaginaires.

De l'Allemand Klaus Michaël Gruber, on attendait beaucoup ; il devait nous dévoiler Faust et ses mirages, un peu trop cachés aux Français par les harmonies de Gounod. Choisir la chapelle de la Salpêtrière pour cette révélation était une bonne idée ; le décor est piranésien, et presque inconnu. Mais des collaborateurs trop nombreux (assistants, dramaturges, etc.), des intentions trop ambitieusement divergentes, sans parler de l'œuvre de Goethe, réduite à des fragments incompréhensibles et interminables, auront contribué au piteux échec de ce grand dessein où le kitsch le disputait à la prétention, et surtout à l'ennui.

Originale

Parmi les autres metteurs en scène étrangers découverts par Jack Lang, du temps où il régnait à Chaillot, il vaut mieux citer le Roumain Lucian Pintilié. On se souvient de sa Princesse Turandot, souveraine d'un peuple de nabots ; ce fut le spectacle à la mode de la saison dernière. Avec La mouette de Tchékhov, il a prouvé qu'il pouvait aussi servir un auteur d'une façon originale et profonde sans tirer à lui la couverture. Alors qu'on a toujours monté cette pièce selon la recette des Pitoëff, avec des longueurs et des nostalgies sucrées, L. Pintilié a su retrouver la vraie charpente de la comédie, qui est toute en arêtes satiriques, en ridicules soulignés, sans renoncer à l'émotion, cela va de soi.