Sous l'impulsion de son fondateur, Jean-Albert Cartier, il reprend, dans une optique moderne, les principes mêmes du Diaghilev des années 1910, puis ceux de Rolf de Maré avec ses Ballets suédois installés à Paris de 1920 à 1925 : faire du ballet le point de rencontre privilégié de tous les arts. Les partitions sont, la plupart du temps, confiées à des auteurs contemporains ; les décors sont dus à des artistes d'avant-garde. Ainsi, dans le spectacle de fondation, se rencontrent Sonia Delaunay et Légier, Strawinski et Miroglio.

Quant à la recherche chorégraphique, si l'on en croit la série donnée au Théâtre de la Ville pour la saison d'été, elle est peut-être moins aboutie ; la compagnie de Jean-Albert Cartier a du moins le mérite de rappeler le talent de Michel Descombey, qui, chargé de la danse à l'Opéra pendant quelques années, en fut écarté pour non-conformisme. Félix Blaska, après la Maison de la culture de Grenoble, présente, au Théâtre de la ville, deux créations, L'homme aux loups et Transitory.

La Rochelle vient de s'attacher le jeune Théâtre du silence. Ses fondateurs, Jacques Garnier et Brigitte Lefèvre, sont des transfuges de l'Opéra, qu'ils ont quitté par dégoût des ornières de la tradition. Ils tentent d'explorer des chemins difficiles, au bout desquels ils voudraient réaliser une synthèse entre les besoins de clarté de l'esprit français et la recherche onirique de la danse américaine. Leur ballet, L'ange, paraît quelque peu naïf malgré de beaux morceaux d'une qualité exigeante. Avec un grand solo lyrique de Brigitte Lefèvre, Léda, qui unit la poésie (fâcheusement hachée en onomatopées) et la musique concrète, il semble qu'ils aient franchi une étape.

Enthousiasme

L'influence de l'école américaine à Paris est importante. Les services culturels de l'ambassade lui apportent une aide diligente. Alvin Nikolais, étonnant magicien du mouvement et de la lumière, soulève l'enthousiasme des jeunes, avec Temple, au Théâtre de la Ville. L'intrigue ne compte pas, ni même un mouvement psychologique. C'est le règne du geste et du jeu de l'éclairagiste qui fait danser la lumière comme les corps, qui dissout en quelque sorte les corps dans des projections de diapositives abstraites. C'est la transposition en chorégraphie des féeries cinétiques de Nicolas Schoeffer.

Étoile-chorégraphe de l'Opéra (titre inventé pour elle), Carolyn Carlson anime une troupe de recherche. Ce n'est pas à l'Opéra qu'on la voit, mais au Théâtre de la Ville, où elle reçoit un accueil délirant du même public qui avait acclamé son maître Nikolaïs. On lui doit deux ballets L'or des fous et Fous de l'or. La répétitivité des titres souligne celle des chorégraphies. Oniriques, ésotériques, ces œuvres ne sont qu'un enchaînement de gestes abstraits qui suggèrent un climat, des idées confuses, des images inachevées, mais dont le pouvoir de séduction et la perfection technique sont indéniables.

C'est la formule que recherchent non seulement les Américaines Betty Jones (Facets, Le guerrier et la veuve, Play it as it rings), Suzon Holzer (Balance), le Franco-Américain Nourkil (Sur des sentiers effacés, Labyrinthe des ténèbres), mais aussi l'Italo-Américain Joseph Russillo, fixé au Nouveau Carré de Silvia Monfort, qui ajoute dans Fantasmes une touche de poésie expressionniste tout à fait latine.

Qu'une compagnie de danse ne puisse subsister sans l'aide de l'État ou d'une collectivité locale, l'exemple de la troupe d'Anne Béranger le prouve : c'est elle qui a révélé à Paris Russillo et Carolyn Carlson. Malgré des succès incontestés, la pénurie l'a conduite à réduire sa troupe et ses activités. Pour l'aider, Maurice Béjart lui fait don d'une chorégraphie : Chants d'amour et de guerre, sur une partition de Malher, où l'on retrouve les thèmes de celui qui s'affirme le plus grand chorégraphe et le plus fécond : les luttes de l'homme dans le monde hostile, le triomphe des amants dans la mort.

L'Université et la chorégraphie

Pour la première fois, en 1974, la chorégraphie est devenue une discipline universitaire. Modestement. Seule l'université de Paris-VII en fait la matière d'unités de valeurs dans le premier cycle et pour la licence. Il s'agit d'établir et d'enseigner une histoire des idées chorégraphiques à travers l'histoire de l'humanité et en relation avec elle. Même les travaux sur des points précis sont rares ; on les doit essentiellement à des chercheurs étrangers. C'est une Écossaise, Margaret Mc Gowan, qui a fait connaître le ballet de cour ; c'est un Américain, Edwin Binney, qui a étudié en détail l'œuvre de Théophile Gautier en tant que chorégraphe. Des universités américaines comportent des facultés ou des départements de danse. Ce que veut l'université française, ce n'est pas mener comme elles le font des recherches esthétiques, mais poursuivre un travail historique, comme des générations d'érudits l'ont fait pour la littérature, l'histoire des autres arts. Une discipline est née, qui apporte un éclairage nouveau sur l'évolution des civilisations.

Théâtre

La création collective absorbe peu à peu l'auteur

Le changement, qui fut le refrain politique de cette année, s'est manifesté dans le domaine du théâtre par une véritable valse des directeurs ; le nouveau secrétaire d'État aux Affaires culturelles, M. Guy, en a été le chef d'orchestre. Cette série de mesures, parfois prises sans consulter les intéressés, n'a pas manqué de provoquer des protestations virulentes, d'autant que ces artistes, fonctionnaires d'un genre un peu particulier, ont souvent tendance à se considérer comme des féodaux propriétaires de leur fief.

Parent pauvre

Si la mise à pied de Guy Rétoré a paru très injuste (au point que le ministre, sagement, est revenu sur sa décision), on ne peut qu'approuver ce rajeunissement des cadres qui fait arriver aux affaires des hommes jeunes, et de talent, comme Jean-Pierre Vincent, nommé à Strasbourg, Jean-Pierre Bisson, à Nice, Roger Gironès, à Lyon, tandis que Jacques Rosner se voit confier le Conservatoire et André-Louis Périnetti le théâtre national de Chaillot, dont Jack Lang, le brillant fondateur du festival de Nancy, a dû lui céder la direction, non sans amertume, on le comprend.