Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

En réalité, l'économie mondiale se trouve aux prises avec deux problèmes immédiats, majeurs : distribuer ses richesses d'une manière différente, de telle sorte que les pays producteurs de produits de base aient une plus grande part du gâteau de la prospérité ; maîtriser une inflation de type nouveau et d'une ampleur sans précédent. Elle doit résoudre ces deux problèmes dans des conditions nouvelles, créées, depuis quelques années, par trois phénomènes de portée universelle :
– la contestation sociale du système de production industrielle (événements de mai 1968 en France) ;
– la désorganisation complète du système monétaire international (dévaluation du dollar en 1971) ;
– l'introduction d'un doute dans les esprits (dont la publication du rapport du Club de Rome en 1972 a été l'illustration) sur la possibilité de combiner indéfiniment la croissance de l'économie avec la limitation naturelle des ressources non renouvelables (énergie fossile, matières premières minérales) de la planète.

Incompatibilité

La crise du pétrole et l'inflation mondiale ont, en effet, un rapport étroit avec ces phénomènes récents et durables. Si les pays producteurs de produits de base ont pu modifier le rapport des forces en leur faveur, c'est que l'humanité a pris effectivement conscience qu'elle était en train d'épuiser la nature. L'inflation y a trouvé un aliment naturel, car c'est une des plus vieilles lois de l'économie que la rareté d'un bien provoque toujours son renchérissement.

Simultanément, le développement de la contestation sociale rend les économies industrielles plus vulnérables ; il y a un rapport direct entre l'élévation du taux de contestation et celui du taux d'inflation, car celle-ci n'est, en fin de compte, qu'une manière commode de solder des comportements spontanément incompatibles entre eux. Ce que revendiquent les syndicats, ce que veulent les patrons et ce que réclament les consommateurs n'est jamais, à un moment donné, parfaitement cohérent. La hausse des prix constitue le mécanisme d'ajustement entre ces aspirations partiellement contradictoires. Mais plus la contradiction à résoudre est forte, plus la hausse des prix doit être élevée. Ce n'est pas un hasard, par exemple, si, dans deux pays voisins comme la France et l'Allemagne, la hausse des prix est deux fois plus élevée dans le premier que dans le second ; cela traduit le fait que la France est un pays socialement plus divisé que l'Allemagne. L'inflation joue chez nous un rôle d'anesthésie sociale qu'elle n'a pas besoin de remplir, au même degré, outre-Rhin.

Transfert

L'augmentation brutale du prix du pétrole et des autres produits de base ne peut qu'aviver les affrontements sociaux au sein des pays industrialisés. On a calculé qu'en France cela devait se traduire par un transfert de richesses de l'ordre de 3 % du revenu national, au bénéfice des pays producteurs de produits de base.

Chaque catégorie sociale s'efforce tout naturellement de rejeter sur la catégorie voisine la charge de ce transfert de richesses. Les entreprises veulent la faire payer aux consommateurs par la hausse des prix ; les salariés veulent la faire payer aux entreprises par la hausse des salaires ; l'État s'efforce d'intervenir dans la bataille, pour mettre à l'abri des coups certaines catégories particulièrement défavorisées, d'où les programmes sociaux de tous les gouvernements. Les nations industrialisées, toutes classes sociales confondues, essaient même de réduire l'ampleur du transfert en payant les produits de base soudain majorés avec des produits industriels eux-mêmes plus chers, ou avec des monnaies fondantes (ce qui n'est que l'envers du phénomène précédent, c'est-à-dire de la hausse des prix dans les pays riches), ou avec leur or dont, préalablement, elles quadruplent le prix !

Déficit

La façon concrète dont la France s'est trouvée confrontée à ces réalités nouvelles et bouleversantes se traduit en deux chiffres : alors que ses échanges extérieurs on été à peu près équilibrés au cours des dernières années, ils seront déficitaires d'environ 25 milliards de francs en 1974 ; alors que l'inflation était à peu près contenue autour de 5 à 7 %, elle atteindra environ 15 % en 1974.