Cette prolifération de feuilles est-elle plus qu'un phénomène passager destiné à briser les structures d'un carcan qui se révèle par trop contraignant ? L'avenir seul le dira, mais déjà certains titres opèrent des fusions — J'accuse et la Cause du peuple — et d'autres, moins extrémistes, mais plus ambitieux, comme Politique Hebdo, éprouvent des difficultés qui rendent leur existence précaire.

Nouvelles formules

Cette presse politique n'est pas la seule à éprouver quelque difficulté à trouver des lecteurs en nombre suffisant pour assurer son existence. Des journaux importants changent de formule pour accroître leur audience : c'est le cas de France-Soir, qui comprend désormais deux parties : l'une consacrée à l'actualité nationale et mondiale et l'autre qui se définit comme une réflexion sur notre temps ; c'est le cas de l'Aurore, qui rénove sa physionomie en aérant sa mise en page. Le Monde demande un effort à ses lecteurs en augmentant son prix de vente (de 0,50 F à 0,70 F), alors que, de son côté, il enrichit ses rubriques par des suppléments importants. La course à la qualité qu'il a entreprise se révèle payante : son tirage ne baisse pas, comme on pouvait le craindre. Au contraire, il augmente sa diffusion. Effort de rénovation également à l'Humanité Dimanche, qui se présente comme un magazine.

Les inévitables concentrations dues à un système économique dépassé en ce qui concerne la presse vont avoir des répercussions sur le Méridional-la France et le Provençal, et sur Nord-Eclair et Nord-Matin.

L'inquiétude suscitée par la disparition de 18 journalistes, dont 4 Français, au Cambodge va conduire à chercher quelles mesures pourraient être adoptées pour protéger les reporters en mission dangereuse. Neuf pays proposent à l'ONU que soit créée une sorte de Croix-Rouge de l'information.

Cependant, ce n'est pas uniquement sur les champs de bataille que la profession de journaliste devient dangereuse : les rapports avec les forces de l'ordre, qui n'étaient pas bons au début de l'année, ne cessent de se dégrader : après Michèle Manceaux, du Nouvel Observateur, qui se heurte à la police, Alain Jaubert, journaliste scientifique appartenant à la revue la Recherche, est passé à tabac.

Les attentats contre les organes de presse sont rares et particulièrement odieux, car ils portent atteinte à une liberté fondamentale. L'hebdomadaire Minute et le Dauphiné libéré en sont victimes.

C'est peut-être le tribut que les journaux, ces véhicules de la pensée témoins des actions humaines, doivent payer aux époques troublées. La presse n'échappe pas à l'incertitude du lendemain. Cette année restera celle où, en s'interrogeant sur elle-même, elle réussit a distraire de l'actualité un temps de réflexion qui engage son avenir.

Édition

Une expansion déficitaire : est-ce le paradoxe auquel sont condamnés les éditeurs ? C'est, en tout cas, ce que l'on peut prévoir si, au cours des prochaines années, continue à s'affirmer une tendance qui se dessine nettement en 1970-71. Dans une conférence au Cercle de la Librairie, Etienne Gillon, président du Syndicat national des éditeurs, indique que le chiffre d'affaires de l'édition est en constante augmentation, alors que la situation des éditeurs est de plus en plus précaire. La marge bénéficiaire, qui se situe entre 1 et 2 %, freine considérablement les investissements. Cette position inconfortable résulte d'une double conjonction : d'une part, l'accroissement des charges (tarifs d'imprimerie, brochage, reliure) ; d'autre part, le contrôle du prix des réimpressions et des ouvrages appartenant aux collections. Si une solution n'intervient pas pour rétablir l'équilibre, les éditeurs seront tentés de laisser leur fonds tomber en friche.

Le bilan des ouvrages publiés laisse apparaître une légère augmentation des ouvrages de littérature générale, tandis qu'on enregistre une baisse des essais et des romans. Les livres d'histoire connaissent un regain d'intérêt de la part du public. Le livre de poche se maintient. Le roman policier accuse une baisse sensible.

Regroupements

Pour l'édition comme pour la presse, le problème de la censure prend une certaine acuité. L'interdiction de vente aux mineurs, d'exposition et de publicité qui frappe un ouvrage de Pierre Guyotat, Eden, Eden, Eden, provoque un certain émoi. Mais l'association de 23 éditeurs pour la réédition du livre de Carlos Marighela, Pour la libération du Brésil, leur permet de remporter une victoire sur la censure.