Le nouvel accélérateur linéaire construit pour l'université de Stanford, à peu de distance de San Francisco, mesure 3 200 m de long, ce qui l'a fait surnommer le Monstre. Les faisceaux d'électrons circulent dans un tuyau de cuivre de 10 cm de diamètre, logé dans un tunnel à 7,5 m sous terre. Ils y sont accélérés jusqu'à une énergie de 20 GeV. À ce moment, leur vitesse est presque égale à celle de la lumière, et, en vertu de la relativité, leur masse est 40 000 fois plus grande que celle d'un électron au repos.

Dans sa version finale, l'accélérateur de Stanford accélérera les électrons jusqu'à 40 GeV.

Cette machine sert à des recherches sur les interactions fondamentales produites par des électrons, et à des essais de vérification de la théorie de l'électromagnétisme. Mais les physiciens sont eux-mêmes loin de prévoir tous les phénomènes qui se produiront lorsque des électrons animés de telles énergies entreront en contact avec des noyaux. C'est ce qu'un savant américain exprime avec humour en écrivant que c'est justement l'impossibilité de prévoir exactement la manière dont on utilisera le Monstre de Stanford qui constitue la meilleure raison de le construire.

Un super-accélérateur

Une des principales difficultés dans la construction des accélérateurs consiste dans la création de champs magnétiques capables de maintenir strictement les faisceaux de particules sur leur trajectoire. Si cette condition n'est pas réalisée, les particules se dispersent, l'intensité du courant va diminuant à mesure qu'augmente l'énergie des particules. C'était là un des défauts du grand synchrotron construit par les Soviétiques à Doubna en 1956, et qui donnait des protons de 10 GeV.

Celui qu'ils construisent à Serpoukhov utilise une invention déjà appliquée à Brookhaven et à Genève : la focalisation forte, ou focalisation à gradient alterné. La couronne du champ magnétique est découpée en petits secteurs qui créent un système focal convergent, ramenant les particules sur leur orbite. On peut alors utiliser des unités magnétiques (électro-aimants) beaucoup moins massives (proportionnellement à l'énergie obtenue) que celles qu'exigeaient les anciens synchrotrons.

À Serpoukhov, les protons circuleront à l'intérieur d'un anneau de près de 1 500 m de circonférence, dans lequel ils seront accélérés par 120 unités magnétiques. Leur énergie maximale pourra aller jusqu'à 70 GeV, avec une intensité de 2 à 3 × 1012 protons par impulsion. Les savants occidentaux qui ont visité Serpoukhov ont été particulièrement frappés par les proportions gigantesques de l'ensemble des installations. Le tunnel de l'anneau est si spacieux qu'on peut entreposer du matériel de part et d'autre des aimants. Le bâtiment lui-même est construit selon une conception nouvelle et hardie. Le toit est entièrement formé d'une voûte métallique en alliage léger, de sorte que l'espace intérieur est entièrement libre de tout support qui pourrait gêner l'installation.

Avant d'être injectés dans l'anneau du synchrophasotron, les protons auront subi une préaccélération dans un accélérateur linéaire à trois étages, le dernier étage communiquant aux particules une énergie de 100 MeV (millions d'électron-volts).

Une création française

Quand ils ont atteint l'énergie maximale que peut leur donner l'accélérateur, les protons sont déviés sur une cible où leur impact avec les nucléons produit des événements divers, en particulier l'apparition de particules instables, mésons et hypérons. Ces particules, à leur tour, déclenchent de nouvelles interactions.

Pour observer ces événements, on se sert de divers instruments de détection, parmi lesquels les chambres à bulles. Ce sont des récipients contenant un liquide maintenu dans un état de température et de pression tel que la trajectoire des particules électrisées s'y matérialise par des traînées d'ébullition, enregistrées photographiquement.

Suivant la nature de l'expérience, on utilise des chambres à liquides lourds, comme le fréon, ou légers, comme l'hydrogène liquide. Parmi les chambres à bulles dont disposera l'accélérateur de Serpoukhov figure une chambre à hydrogène construite à Saclay et baptisée Mirabelle.