Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Normandie (suite)

L’aménagement et les régions

Parallèlement à l’industrialisation et à l’urbanisation, les pouvoirs publics et les collectivités locales développent des efforts en faveur de l’aménagement régional. Le bilan permet de distinguer, avec une vue prospective, trois types de régions.

Les secteurs fortement industrialisés et urbanisés se concentrent autour de l’axe de la Basse-Seine, prolongé vers l’ouest par l’agglomération de Caen. Le triangle Rouen - Le Havre - Caen réunit les trois plus grandes agglomérations de Normandie. La densité des moyens de transport de tous types, la multiplicité des usines, le dynamisme du tertiaire déterminent de fortes expansions de ces agglomérations. Les prévisions pour la fin du siècle laissent espérer, ou craindre, un doublement de la population. Dans ce contexte régional, qui prolonge Paris en Normandie, l’aménagement devient une nécessité. La Basse-Seine a été la première région dotée d’un schéma d’aménagement, et le « triangle » est actuellement l’objet de toutes les sollicitudes. Les ports de Rouen et du Havre entreprennent d’énormes travaux pour accroître à des dimensions européennes l’activité maritime et industrielle. Des villes nouvelles sont prévues. Le franchissement de l’estuaire de la Seine par un nouveau pont en aval de Tancarville doit faire de Honfleur et de Trouville la grande banlieue du Havre et assurer l’existence d’un des côtés les plus faibles du triangle. Des coupures vertes, notamment le parc régional de la forêt de Brotonne, doivent fragmenter l’espace urbanisé afin de lui laisser quelque fraîcheur et quelque humanité... Mais est-ce encore possible ?

Des campagnes désenclavées vivent à proximité des grandes concentrations urbaines. Elles en reçoivent directement ou indirectement les effets. Les plaines les mieux dotées par les qualités de leurs sols limoneux (pays de Caux, plaines de l’Eure et de Caen) se livrent à une agriculture mécanisée très intensive à laquelle s’ajoutent des élevages industriels. Les régions herbagères du pays de Bray, du pays d’Auge, du pays d’Ouche, du Perche ont moins de possibilités agricoles ; mais leurs paysages attirent les citadins, et la prolifération des résidences secondaires redonne vie aux villages et aux hameaux, au moins en fin de semaine. Depuis le début du siècle, la « Côte fleurie », principalement animée par Deauville, reçoit la clientèle parisienne. Après une période difficile, la « Côte » et le nord du pays d’Auge à laquelle elle s’adosse retrouvent une nouvelle animation par le développement des loisirs de week-end.

La Normandie oubliée se situe à l’ouest, dans les pays de bocage aux petites exploitations familiales, loin des plus grandes villes et des axes de circulation. Profondément rurale, cette région a réalisé de remarquables efforts de rénovation agricole, et ses petits élevages ont une intensité de production et un dynamisme assez remarquables ; elle constitue le premier « bassin laitier » de France. Mais la concentration des exploitations a rendu et rend encore inéluctables la dépopulation et l’accentuation de l’isolement lorsque aucune autre activité marquante n’assure un relais. Or, la décentralisation industrielle a échoué dans cette aire mal équipée, aux villes trop petites, trop dispersées et trop éloignées de Paris. Seul Cherbourg (80 000 hab.) fait figure de grande ville, mais son port est sous-exploité, et son industrie principalement animée par des entreprises d’État, arsenal et centre atomique de La Hague. Le tourisme pourrait compenser partiellement ces insuffisances. L’Orne attend beaucoup du parc régional Normandie-Maine, voué au cheval et à la forêt ; la Manche compte sur le nautisme et sur la beauté de ses longues plages aux odeurs de varech. Le patrimoine que représentent les bocages, les forêts et les landes, les villages et les bourgs, les falaises sauvages et les plages sableuses de la Normandie occidentale ne peut être oublié.

A. F.


L’art en Normandie

À la fin de l’époque néolithique, la région qui sera la Normandie se peuple, en sa zone appartenant au Massif armoricain, de ces « pierres levées » qui furent les premiers monuments. La conquête romaine, unifiant tout le pays, a laissé des témoins non moins importants, notamment le théâtre de Lillebonne, d’où proviennent une remarquable mosaïque (musée des Antiquités de la Seine-Maritime, Rouen) et un grand Apollon de bronze (Louvre). Le « trésor » de Berthouville, près de Bernay, conservé à la Bibliothèque nationale, à Paris, compte parmi les plus belles réalisations de l’orfèvrerie romaine et atteste l’activité des ateliers de la « IIe Lyonnaise ». Le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) fera de la province un État souverain, d’où Guillaume* le Bâtard partira pour cette conquête de l’Angleterre que narre la célèbre tenture de Bayeux.

Dans cette région évangélisée prolifèrent abbayes et monastères : on remarque de rares vestiges des plus anciens, intégrés dans les grands monuments postérieurs. L’architecture normande est en plein essor au xie s. : témoin les puissants restes de Jumièges, les deux abbatiales de Caen*, Saint-Étienne des Hommes et la Trinité des Dames, la crypte de la cathédrale de Bayeux*, l’« Aquilon » et la nef du Mont-Saint-Michel*. Ces églises romanes pouvaient être larges, n’étant couvertes qu’en bois. Elles ne reçurent des voûtes qu’après l’invention de la croisée d’ogives, dont la Normandie donna un exemple isolé dès le début du xiie s., à l’ancienne église Saint-Paul de Rouen.

La Normandie s’est associée dès l’origine à l’élaboration du système gothique. En 1144, Hugues, archevêque de Rouen, et deux de ses suffragants assistent à l’inauguration du chœur de Saint-Denis ; des fidèles de Coutances et de Bayeux s’en vont travailler à la construction de la cathédrale de Chartres. Il faut pourtant attendre le dernier tiers du xiie s. pour voir s’élever la cathédrale de Lisieux et l’église de la Trinité de Fécamp. À Rouen*, la cathédrale est reconstruite à la fin du siècle, puis de nouveau dans la première moitié du xiiie s. L’architecture militaire bénéficie du savoir acquis. À Château-Gaillard, élevé par Richard Cœur de Lion vers 1196, Philippe Auguste oppose une ligne de forteresses aux donjons cylindriques, à base talutée : Falaise, Lillebonne, Verneuil, Gisors, la « tour de Jeanne d’Arc » à Rouen. À partir de la reconstruction du chœur de Saint-Étienne de Caen, au début du xiiie s., des formules autonomes apparaissent en matière d’architecture religieuse, reprises dans les grandes cathédrales, de Bayeux à Sées. La Normandie invente la tour-lanterne, qui coiffe la croisée du transept des cathédrales de Coutances et d’Évreux ; le xve s. maintiendra cette formule à Saint-Maclou de Rouen, le xvie s. à Saint-Pierre de Coutances et Saint-Germain d’Argentan. À l’architecture normande gothique appartiennent les hautes flèches cantonnées de longs et minces clochetons, dont dérive le kreisker breton. L’architecture monastique comporte naturellement des cloîtres : il en subsiste plusieurs, notamment au Mont-Saint-Michel et à Hambye en Cotentin. La longue trêve qui suit la guerre de Cent Ans favorise l’architecture. S’élèvent alors l’église Saint-Maclou de Rouen, riche de son ornementation « flamboyante », les paroissiales de Cherbourg et de Falaise, Saint-Jean de Caen, la célèbre « tour de Beurre » de la cathédrale de Rouen, Saint-Jacques de Lisieux, le chœur de l’abbatiale du Mont-Saint-Michel, le cloître de Saint-Wandrille, les palais épiscopaux d’Évreux et de Rouen, le palais de justice de Rouen, chef-d’œuvre de l’architecte et sculpteur Roland Leroux (v. 1465-1527).