Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XIV (style) (suite)

Il est remarquable que l’exemplarité rubénienne fut sans effet sur la France du temps : elle n’opérera qu’à la fin du siècle, Le Brun disparu. Ce maître aura été l’agent parfait des idées du grand administrateur qu’était Colbert. Comme le reconnaîtra le Mercure galant dans sa notice nécrologique de 1690, « Le Brun taillait en une heure de temps de la besogne à un nombre infini d’ouvriers différents. Il donnait des desseins à tous les sculpteurs du Roy. Tous les orfèvres en recevaient de lui. Il estoit inventif et sçavoit beaucoup. » En effet, les 2 389 esquisses de sa main recueillies au Louvre expliquent l’unité de style qui régnera pendant la seconde moitié du xviie s. Tout l’ameublement des maisons royales est réglé par la puissante organisation qu’a créée Colbert : dès 1661-62, la manufacture des Gobelins*, dirigée par Le Brun, qui recevra le privilège royal en 1667, produit, outre les tapisseries murales, les cabinets précieux exécutés sous Dominico Cucci (1635-1705), les pieds de table et de trumeau sculptés par Filippo Caffieri*, les meubles et vases d’argent ciselés par les orfèvres Jacques Dutel, Alexis Loir (1640-1713), Claude de Villers († 1678), les panneaux de mosaïque des Florentins Filippo Branchi († 1699) et Fernandino Miglorini, dit Megliorini († 1683) ; une école de dessin conduite par Louis Licherie (1629-1687) initiait les jeunes recrues au « grand goût ». En 1663, Colbert institue l’administration du garde-meuble, sous l’autorité de Gédéon Berbier du Mets (1626-1709) ; il privilégie en 1664 la manufacture de tapisseries de Beauvais*, encouragement qu’il accordera l’année suivante au groupe des ateliers privés d’Aubusson. Pour achever la formation des plus habiles élèves, il ouvre en 1666 une école supérieure, qui sera l’Académie de France à Rome. En 1671, il crée l’Académie royale d’architecture. Par ses conférences mensuelles et par l’enseignement qu’elle dispensait, l’Académie royale de peinture et de sculpture gouvernait cet ensemble sous l’autorité de Le Brun. Le Premier peintre exerçait d’ailleurs cette magistrature avec libéralisme, laissant à ses auxiliaires la plus grande liberté d’expression dans l’exécution des programmes, dont il fixait le thème conformément à des formules qu’il croyait celles de l’Antiquité et qui, en fait, combinaient les interprétations de l’antique des raphaélites, de Nicolas Poussin*, voire des Carrache*.

Le style Louis XIV doit presque autant à Jean Lepautre* qu’à Le Brun. Frère de l’architecte Antoine Lepautre*, Jean avait été menuisier avant de consacrer une prodigieuse activité à la composition de modèles d’ornements. On a de lui plus de quinze cents estampes, divisées selon l’usage en deux versions du même motif, dans un style italianisant qui s’apparente à celui de Le Brun sans en avoir la largeur et l’aisance. Après lui apparaîtront deux maîtres qui, dessinant dans le même goût « antique » en faveur, confirmeront le classicisme « Louis XIV » : André Charles Boulle* et Jean Berain*, le premier attaché au service de la Couronne en 1672, le second promu dessinateur des Menus Plaisirs en 1675. Le style noble de ces maîtres illustre les principes qui règnent dans les maisons royales et, à leur suite, dans la décoration des palais princiers, dans les hôtels des financiers fastueux, des gouverneurs des provinces, des intendants, du haut clergé résidant et des parlementaires. Dans tout le royaume se répand ce formalisme pompeux, impersonnel par système et tout de convention.

Le décor intérieur est formé de tentures murales, tapisseries ou soieries : ce n’est qu’à partir de 1687 que reparaîtront au Trianon les lambris sculptés. Les bois de lit disparaissent sous de splendides étoffes brochées. Dans le mobilier triomphent les marqueteries d’écaillé et de cuivre ou d’étain de Boulle et de ses émules, notamment le Hollandais Alexandre Jean Oppenordt (1639-1715). Les tables de milieu, les pieds de trumeau s’enrichissent d’une ornementation sculptée plantureuse ; leurs supports sont reliés, près du sol, par des croisillons dont l’importance est calculée pour équilibrer celle de la ceinture. Les sièges ont répudié le tournage en faveur de la sculpture ; le piétement seul est décoré : les hauts dossiers à dévers accentué sont entièrement couverts de velours ou de brocart. Vers 1690, Boulle invente un meuble nouveau, la commode à tiroirs, dont les prototypes sont destinés à la chambre du roi à Versailles, où ils se trouvent encore. Les lampadaires sont de hauts fûts sculptés de figures ou repercés qu’on dénomme guéridons : sur leur plateau se posent les girandoles.

Le prestige du classicisme* officiel fait trop oublier un aspect plus curieux de l’évolution de goût du Grand Siècle : il était nourri du baroque* italien. S’il jugeait Pierre Puget* peu conformiste, s’il reléguait au fond du parc la statue du roi commandée au Bernin*, il n’en aménageait pas moins les bosquets de Versailles à la manière des scénographies italiennes ; il en subsiste deux témoins, le bosquet d’Encelade et la salle de Bal. Pour Mme de Montespan, Louis XIV fit élever en 1670 le « Trianon de porcelaine », dont un pavillon de Rambouillet conserve deux amples parements de carreaux de Delft, épargnés lors de la démolition de 1687. Il y avait à Versailles de faux roseaux de bronze peint, dont les feuilles de fer-blanc égouttaient de l’eau envoyée sous pression ; à Marly, le roi fit monter un palis de faux arbres : tout un décor disparu, dont les textes seuls gardent le souvenir et qui, en son temps, animait par sa fantaisie la solennité compassée du décor officiel.

G. J.

➙ Académie royale de peinture et de sculpture, Académie royale d’architecture / Classicisme / Le Brun / Versailles.

 R.-A. Weigert, le Style Louis XIV (Larousse, 1941). / M. de Fayet, Meubles et ensembles, époques Louis XIII et Louis XIV (Massin, 1966). / B. Teyssèdre, l’Art français au siècle de Louis XIV (Libr. gén. fr., 1967).